Le manuscrit de Montpellier

Bref aperçu historique
Sa décoration

par Michèle BEROLA

* Les pages publiées sont extraites du mémoire de Maîtrise qu'a présenté Michèle Bérola en Sorbonne.

Article tiré du magazine "Chant Floral" N°45, 1985

Le Moyen Age a focalisé les recherches de nombreux musicologues. Parmi les documents encore en notre possession, les manuscrits - musicaux en particulier - sont d'un précieux secours pour comprendre et appréhender ces siècles qui donnèrent naissance à notre polyphonie.
Parmi les chansonniers, le manuscrit de Montpellier est une référence. Madame Michèle Bérola l'a étudié en détail. Son mémoire de maîtrise propose une analyse codicologique - historique et structure - une analyse paléographique - la lettre gothique, les copistes et les aspects généraux de l'écriture gothique - une analyse de l'écriture musicale - en particulier la notation - et la décoration en elle-même. Nous proposons dans ces pages, après un rappel historique, les chapitres concernant la décoration. Peut-être le lecteur sera-t-il avide d'en connaître plus ! Il n'est pas impossible que dans le futur des «dossiers de Chant Choral» présentent en détail un ouvrage de ce type, exemples musicaux et partitions à l'appui.

Historique du Manuscrit

On pourrait s'étonner qu'un codex du Moyen Age contenant des oeuvres musicales fasse partie du fonds d'une bibliothèque universitaire de médecine. Afin d'éclaircir ce qui, à première vue, apparaît comme contradictoire, il est nécessaire de retracer l'histoire de ce chansonnier. Ainsi se révèleront, peu à peu, les diverses circonstances qui l'ont amené dans la ville de Montpellier.
La plus ancienne indication que l'on possède concernant sa provenance, nous est fournie par la page de titre. Au bas de celle-ci se lit, en effet, l'annotation suivante : Ms/De la Bibliothèque de Mr le Président Bouhier/ E. 61/MDCCXXI (voir Mise au point).
Le Président Jean Bouhier était un magistrat dijonnais appartenant à une riche famille. Il possédait, dans la capitale bourguignonne, une bibliothèque qui lui avait été transmise par ses ancêtres, chacun de ses propriétaires ayant mis un point d'honneur à l'enrichir sans cesse. Cette collection devait avec Jean Bouhier revêtir une ampleur extraordinaire. Elle comportait alors environ 35 000 livres imprimés et 2 000 manuscrits. Les successeurs du Président n'attachèrent malheureusement pas la même importance à la valeur des ouvrages ainsi réunis. La bibliothèque fut négligée et la majeure partie de celle-ci vendue en 1781 à l'abbaye de Clairvaux. Les livres furent ensuite transmis à Saint-Loup de Troyes où ils demeurèrent pendant la Révolution française, pour appartenir ensuite à la bibliothèque municipale de cette ville (1).
Or, depuis la deuxième moitié du 18e siècle, les étudiants de l'Université de Médecine de Montpellier réclamaient la fondation d'une bibliothèque publique. En 1767 seulement, grâce à la générosité d'un des maîtres, Henri Haguenot, la Faculté allait posséder une bibliothèque d'ouvrages médicaux. Cependant, les livres n'étaient pas en assez grande quantité. Au début du 19e siècle, afin d'en enrichir le fonds, une collecte fut organisée dans les dépôts du département de l'Hérault. Celle-ci se montra toutefois infructueuse, les ouvrages recueillis ne présentant qu'un ensemble de peu de valeur où figuraient même beaucoup de livres incomplets. Grâce à l'appui de Chaptal, ministre de l'intérieur, l'aide-bibliothécaire de l'Ecole de Santé de Montpellier (2), Prunelle, devenu commissaire du gouvernement chargé de l'inspection des bibliothèques et dépôts littéraires, obtenait le droit d'étendre sa prospection. Il fit donc de larges prélèvements d'ouvrages dans les dépôts nationaux dépassant le cadre du département de l'Hérault.
L'intérêt que Chaptal portait aux étudiants en médecine s'explique facilement si l'on sait qu'il avait été luimême reçu docteur en médecine à Montpellier en 1777, puis nommé professeur de chimie dans cette ville en 1781. Il était, en outre, favorable à la conception selon laquelle la médecine devait s'élargir en science universelle. Un de ses discours est significatif sur ce point :
«Brumaire an 5... L'étude de la médecine considérée sous ses vrais rapports ne se borne point, citoyens élèves, à la connaissance de l'homme ; le cours de votre instruction est dirigé de manière à vous donner des notions exactes sur presque tous les arts qui intéressent essentiellement la société... » (3)
Ainsi soutenus dans leur mission, Prunelle et ses collaborateurs, Maugerard et Chardon de la Rochette, puisèrent largement dans les dépôts du Mans, de Chartres, de Dijon, d'Auxerre et de Troyes. Une correspondance de 1802 à 1807 entre Prunelle et René, alors directeur de l'Ecole de Santé, apporte un témoignage de leurs découvertes et envois fructueux.
«19 Germinal an XII.. J'ai trouvé des manuscrits extrêmement précieux parmi ceux qui viennent du Président Bouhier... » (4).
C'est ainsi qu'une très riche collection de manuscrits pour la plupart du 14e siècle, au nombre desquels figure notre chansonnier, parvint à Montpellier où elle est conservée depuis.

La miniature sous le règne de Philippe Le Bel

La place occupée par le manuscrit H. 196 de Montpellier peut sembler 'modeste. Elle se situe, en effet, entre les grandes réalisations du règne de Saint Louis et celles de l'atelier de Jean Pucelle (deuxième tiers du 14e siècle). Cet ouvrage, contemporain des ceuvres d'Honoré (5), est cependant important car il appartient à une période charnière correspondant au règne de Philippe Le Bel (1285-1314). Cette époque voit effectivement l'essor d'un nouvel état d'esprit déjà ébauché vers le milieu du 13e siècle et dont les répercussions seront grandes dans les arts. L'un des facteurs importants de cette modification est l'effacement progressif du pouvoir de l'église. En effet, sous le règne de Philippe Le Hardi (1270-1285), la royauté affirme peu à peu sa puissance en politique et cela au détriment de son rôle spirituel. Philippe Le Bel portera ensuite à la religion un coup décisif en mettant en cause l'ordre des Templiers accusés d'hérésie, puis en obligeant les papes à quitter Rome pour s'installer en Avignon. Le deuxième facteur responsable de la transformation de la mentalité est le changement de la classe dirigeante. La noblesse empreinte d'idéal chevaleresque, ruinée par les guerres et les croisades, s'efface au profit de la bourgeoisie enrichie par le commerce. Le recul de l'église et l'essor d'une classe sociale à l'esprit plus positif ne seront pas sans grandes répercussions dans le domaine artistique.
C'est à partir du règne de Philippe Le Bel que commence la grande époque de la miniature française. Jusqu'alors, la plupart des illustrateurs de manuscrits étaient des religieux et leur talent ne s'exerçait guère que dans l'exécution de bibles, de psautiers, de bréviaires et autres livres pieux. Bientôt la clientèle du livre se modifie. Les universités, qui remplacent un peu partout les abbayes et les cathédrales comme centres culturels, favorisent la diffusion de toute une littérature profane. En outre, encouragés par la haute société amatrice de beaux manuscrits, des auteurs se mettent à composer en langue vulgaire des chroniques, encyclopédies, chansons, romans et fabliaux. Parmi ces ouvrages, il en est certains dont les religieux condamnent la lecture (6). Pour leur décoration on fait donc appel aux enlumineurs laîcs. Bientôt une nette concurrence s'établit entre les scriptoria monastiques et les ateliers profanes. Ces derniers, groupant essentiellement des artistes dont le labeur doit assurer les moyens d'existence, s'efforcent d'attirer la faveur des libraires et des amateurs par leur recherche de nouveauté et d'originalité. De la concurrence jaillira le progrès.
C'est à Paris semble-t-il que prend naissance le mouvement décisif pour le développement de l'enluminure. En effet, contrairement à l'époque précédente durant laquelle chaque région se manifestait sur le plan artistique par certains traits spécifiques, le 13e siècle voit surtout s'imposer les productions de l'lle-de-France. La suprématie de la région parisienne semble donc parallèle à la centralisation politique qui s'y affirme. Le manuscrit H. 196, qui appartient à la fin du 13e siècle, a par conséquent, de fortes chances de provenir d'un atelier situé au nord de la Loire (7).

Décrétales de Grégoire
Décrétales de Grégoire IX - La Trinité. Artois, fin du 13e ou début du 14e siècle. Luxembourg, B. N, ms. 140, fol. 3.

Les influences

Influences du nord de la France

Dans la production de la miniature, la marque parisienne, qui s'impose partout durant le 13e siècle, semble en étroit rapport avec la centralisation politique qui s'y affirme. Cependant, la région d'Ile-de-France, malgré son importance, n'est pas la seule à produire des ceuvres originales. Bien que fortement influencés par l'art de la capitale, quelques centres secondaires marquent une activité notoire. La Picardie et l'Artois, pays des conteurs et des trouvères, grands centres commerciaux, sièges d'un riche mécénat, font preuve d'une certaine originalité. Si le chansonnier de Montpellier présente de nombreuses analogies avec les manuscrits décorés dans la capitale, il n'est pas non plus exempt de traits représentatifs d'un art plus septentrional. Celui-ci se manifeste essentiellement dans les «drôleries» et les scènes marginales qui animent les pages. Cette sorte de décoration parait s'être d'abord manifestée dans le nord de la France semble-t-il sous l'impulsion de l'Angleterre (8). II a d'ailleurs été établi que les grandes abbayes bénédictines de Saint Bertin à Saint Omer et de Saint Vaast d'Arras étaient en liaison étroite avec l'école des miniaturistes anglais (9). Des entrelacs incorporés dans la décoration de certaines lettres historiées (PL. X et XVII) montrent l'emploi d'un motif typiquement anglais. Cependant, bien que d'origine insulaire, l'entrelac était déjà fort en vogue dans les représentations artistiques des siècles précédents. Il ne peut donc, en aucune manière, servir d'élément de localisation. On pourrait, en outre, faire une comparaison intéressante entre la Trinité représentée dans le chansonnier de Montpellier au folio 88ro (PL. X) et celle qui apparaît dans les Décrétales de Grégoire IX (PL. XX) (10). La composition des deux peintures est la même, mais la miniature du manuscrit H. 196 est réalisée avec une finesse plus grande qui se marque surtout dans le traitement des visages et des plis des vêtements. Ces divers éléments permettraient de supposer que notre chansonnier ait été décoré en province. Ceci paraît cependant peu probable en raison, non seulement de l'importance de Paris et des moyens dont on y disposait, mais surtout en ce que cette influence ne se manifeste que dans les détails. Il semble plus probable que des artistes du nord de la France, attirés par les débouchés qu'offrait Paris, s'étaient établis dans la capitale et y avaient introduit un genre dont ils avaient la spécialité.

Brève conclusion concernant le manuscrit de Montpellier

Il résulte de l'ensemble de l'analyse paléographique et de l'étude de la décoration une impression de grande diversité, tant dans le style des miniatures que dans les signes employés lors de la notation. Cela est dû, d'une part à la multiplicité des collaborateurs, copistes et enlumineurs chargés de l'ouvrage, d'autre part à l'étalement de ce travail dans le temps, c'est-à-dire une trentaine d'années environ. On pourrait alors supposer que notre manuscrit comporte divers recueils, d'origines différentes, assemblés par la suite sous une même reliure. Si la chose semble certaine en ce qui concerne le huitième fascicule, la question reste posée pour les autres divisions du volume. De la décoration et de l'écriture se dégage toutefois une unité, qui plaide en faveur d'un travail effectué par des artistes appartenant à un même atelier. Le chansonnier de Montpellier est très certainement une anthologie qui a été conçue comme telle dès le premier instant. Certes, les oeuvres qui le composent appartiennent à des genres très divers et l'on pourrait s'étonner de ce que l'élégant et le trivial, le sérieux et le bouffon, le religieux et le profane puissent voisiner (11). Cependant, d'autres ouvrages contemporains, comme le manuscrit 19.152 du fonds français de la B.N. de Paris, présentent le même caractère composite (12). Il semble, d'ailleurs, que les lecteurs d'autrefois n'étaient point gênés par le manque d'unité. Le codex 354 de la bibliothèque de la ville de Berne et le manuscrit 837 du fonds français de la bibliothèque nationale à Paris offrent le même aspect de fantaisie et de diversité dans le goût. Peut-être sommesnous, avec le chansonnier de Montpellier, en présence d'un volume ayant appartenu à une bibliothèque dans laquelle les jongleurs, qui avaient à satisfaire des demandes variées, pouvaient trouver les sources de leur répertoire (13). Cependant, le soin apporté à l'exécution matérielle du manuscrit, la belle qualité de l'écriture, les lettres ornées qui décorent chacune des pages pour le plaisir de l'oeil semblent plutôt témoigner en faveur d'un ouvrage de luxe composé pour un riche amateur.
La diversité de provenance des pièces réunies dans notre chansonnier ne permet pas d'établir une hypothèse valable concernant son lieu d'exécution. Les chansons qui y sont contenues datent approximativement du début du 13e siècle à la fin de celui=ci. Elles appartiennent, d'après l'origine de certains auteurs, les lieux géographiques qu'elles mentionnent et les particularités dialectales qu'elles présentent, à un groupe de provinces assez nombreuses. Parmi ces dernières, l'Ile-deFrance, l'Orléanais, la Picardie et le Soissonnais sont les plus représentatives. On ne peut, en outre, espérer s'appuyer sur la nature des graphies pour identifier la patrie des scribes. En effet, dans certains manuscrits, comme le codex 19.152 du fonds français de la bibliothèque nationale, le copiste transcrit parfois des textes de provenance picarde avec des graphies d'Ile-de-France et des ceuvres originaires d' Ile-de-France avec des graphies qui appartiennent au Picard (14). La présence de dialecte du nord de la France et de langue d'Oc (fol. 128vo) dans le manuscrit H.196 ne peut donc, en aucun cas, être un élément de renseignement sur le lieu d'origine de ce codex.
La décoration du chansonnier de Montpellier est intéressante, non seulement par l'originalité de ses scènes marginales, mais encore parce qu'elle permet de suivre, à travers les lettres historiées, quelques-unes des étapes qui montrent l'art de la miniature s'acheminant vers celui de la peinture proprement dite. Son style est très proche de l'enluminure parisienne avec quelques traces d'influences plus septentrionales. L'ornementation ne donne pas, malheureusement, la possibilité de trouver en elle le moyen d'identifier le lieu d'origine du manuscrit. En effet, lors de la copie, l'emplacement des lettrines et des miniatures était laissé en blanc par les scribes. Les ouvrages pouvaient donc être décorés dans un autre atelier que celui où ils avaient été écrits. Il arrivait aussi que le possesseur d'un codex, dont l'ornementation n'avait pas été achevée, fasse compléter ultérieurement son ouvrage. C'est ainsi que des manuscrits bien qu'ayant été copiés au milieu du 13e siècle portent une décoration datant du début du 14e siècle. Parfois même, des volumes écrits à Bologne possèdent une décoration parisienne et quelquefois très tardive (15). En outre, les artistes, qu'ils soient laîcs ou religieux, voyageaient beaucoup. Jean d'Amiens, par exemple, allait de ville en ville transportant ainsi son style et sa technique (16). L'ornementation et les miniatures ne doivent donc être utilisées pour décider de l'origine d'un manuscrit qu'avec la plus grande prudence.
Si l'analyse paléographique et l'étude de la décoration se sont montrées impuissantes à déterminer la provenance initiale de notre chansonnier, du moins nous ont-elles permis d'aborder cet ouvrage sous divers aspects et de pouvoir ainsi en goûter pleinement la valeur. Le manuscrit H.196 justifie donc bien son classement parmi les «objets d'art historiques», non seulement sur le plan musical, en raison des pièces uniques qu'il contient, mais également au point de vue de la décoration, en ce qu'il est l'un des premiers ouvrages profanes à posséder une telle qualité dans l'ornementation.



(1) Cf. Ronsin (Albert), La Bibliothèque Bouhier, Dijon, Académie des Sciences et Belles Lettres, 1971, p. 133 et ss.. (Retour)
(2) Nom que prit l'Université de Médecine sous la Révolution. (Retour)
(3) Cf. Vidal (Yvonne), La bibliothèque et les archives de la Faculté de médecine de Montpellier, in : Montpellier Médical, 3e série, T. LIV, n° 1, juillet-oaût 1958, p. 89. (Retour)
(4) Cf. Vidal (Yvonne), op. cil., p. 90. (Retour)
(5) Maître Honoré est à Paris le miniaturiste le plus célèbre de la fin du 13e siècle. (Retour)
(6) Martin (Henry), Les peintres de manuscrits et la miniature en France, Paris, H. Laurens, 1909, p. 20. (Retour)
(7) Cf. Malo-Renault (Jean), Un chansonnier manuscrit de l'école de Jean Pucelle, à Montpellier, coll. Les trésors des bibliothèques de France, Paris, éd. Van Oest, 1933, t. IV, pp.145-156. Cet auteur a émis l'hypothèse d'une provenance de saint Germain d'Auxerre en raison d'une innovation faite à ce saint au fol. 13ro de notre manuscrit. Cette idée a été reprise et développée par Yvonne Rokseth, op. cit., p. 30 et ss.. (Retour)
(8) Cf. Vitzhum (Georg von Eckstàdt)„ Die Pariser Miniaturmalerei von der Zeit des heiligen Ludwig bis zu Philipp von Valois, Leipzig, Quelle und Meyer, 1907. L'auteur s'est efforcé de démontrer qu'au début du 14e siècle, les ateliers parisiens, loin d'imposer leur suprématie, subissaient l'influence de l'Angleterre et même des Pays-Bas. (Retour)
(9) Reau (Louis), La miniature, Melun, librairie d'Argences, 1946, p. 120. (Retour)
(10) Provenance : Artois, fin du 13e ou début du 14e siècle. Dépôt actuel: Luxembourg, B.N., ms. 140, fol. 3. (Retour)
(11) Raynaud (Gaston), Recueil de motets français du 12e siècle et 13e siècle, Paris, F. Vieweg, 1881, 2 vol.. L'auteur donne une analyse très intéressante du texte des chansons. (Retour)
(12) Fatal (Edmond), Le manuscrit 19.152 du fonds français de la bibliothèque nationale, Paris, Librairie Droz, 1934, p. 10. (Retour)
(13)) Fatal (Edmond), op. cit., p. 10. La même hypothèse est avancée par cet auteur à propos du ms. fr. 19.152. (Retour)
(14) Faral (Edmond), op. cit., p. 12. (Retour)
(15) Destrez (Jean), La pecia dans les manuscrits universitaires du 13e siècle et du 14e siècle, Paris, Vautrain, 1935, p. 59. (Retour)
(16) Porcher (Jean), L'Enluminure française, Paris, Arts et métiers graphiques, 1959, p. 47. (Retour)




Une mise au point historique (Retour)

La cote ancienne est bien E. 61 et non F. 61. Cf. le Catalogue des manuscrits dressé par le Président Bouhier (Montpellier, bibl. de la fac. de médecine, ms. H. 19, p. 51). Si cette erreur se rencontre dans de nombreux ouvrages, c'est certainement en raison de la disparition de la barre inférieure du «E». Cette lettre peut, ainsi, être facilement assimilée à un « F».
La mention ajoutée à la plume au bas de la page : Ms/De la Bibliothèque de Mr le Président Bouhier/E. 61/MDCCXXI, nous apporte une indication supplémentaire. Contrairement à ce que l'on a souvent affirmé, la date 1721 n'indique pas celle de l'achat du manuscrit mais l'année à laquelle l'ouvrage a été porté sur le catalogue dressé par Jean IV (21). Seules les dates postérieures à celle-ci correspondent aux dates d'enregistrement et probablement à celles des acquisitions. C'est, en effet, en 1721 que le Président Bouhier reprit l'ensemble de ses manuscrits pour en établir de sa main le catalogue (22). D'autre part, Albert Ronsin nous rapporte que
«Il rassembla les cahiers copiés ici et là, les pièces qu'il avait trouvées dans le cabinet, celles qu'il s'était procurées, et il constitua de nombreux volumes qu'il dota d'une page de titre sur laquelle figurait, outre le contenu du recueil, la mention «manuscrit de mons. le Président Bouhier», la cote et la date de l'opération» (23).
et que
«Il rassembla ceux [les manuscrits] qui étaient brochés sous des dos de parchemin vierge où il inscrivit luimême le titre des recueils» (24).
Si tout porte à croire que les exlibris ont été tracés par la main du Président Bouhier, car leur écriture et celle du catalogue présentent une étrange similitude, il semble difficile de lui attribuer avec certitude l'écriture du titre de notre chansonnier. On ne retrouve rien de l'orthographe ni du style employés couramment par Jean IV. En revanche, rien ne semble s'opposer à envisager que le grand-père du Président Bouhier, Jean III (1607-1671), en soit l'auteur. Le chansonnier figurait déjà dans ses deux catalogues de manuscrits. Il portait dans le premier la cote F. 33 et le numéro d'ordre E. 25 dans le second. Ce dernier date de peu avant sa mort et est très postérieur au premier.
Jean III avait acheté beaucoup de manuscrits qu'il avait, pour la plupart, recouverts de velours noir lorsque à leur acquisition leur reliure était en trop mauvais état. Il avait, en outre, faute de posséder certains originaux, transcrit de sa main plus de cinquante volumes (25). Ce genre de travail ne lui était donc pas étranger. On pourrait établir un rapprochement intéressant entre le style et l'orthographe de Jean III et l'intitulé du chansonnier. Que l'on en juge par le texte d'une de ses lettres à son fils Bénigne, datant du 6 mai 1654 (26)
«... Vous debvés pendant vostre séjour de Paris, vous applicquer, autant que vos estudes le pourront permettre, à la recherche de divers mss... » (27)
et d'une autre du 29 avril de la même année
«... Je seray bien aise de sçavoir la façon avec laquelle il vous a confié ses manuscripts (...1. Il en a encore quelques uns que je seray bien aise de faire coppier... » (28)
Toutefois, rien ne peut-être affirmé dans ce domaine, un copiste quelconque ayant pu se charger de cette tâche. La page de titre du manuscrit H. 196, que l'on aurait pu, de prime abord, juger sans intérêt, était donc susceptible d'apporter sur celui-ci de précieux renseignements.


(21) C'est-à-dire par le Président Bouhier (1673-1746). A. Ronsin, dans son ouvrage, La Bibliothèque Bouhier, a pour plus de commodité et pour éviter toute confusion, adopté des numéros d'ordre pour distinguer les membres de cette famille portant les mêmes noms et prénoms. (Retour)
(22) Ms. H. 19 de la bibliothèque de la faculté de médecine à Montpellier. (Retour)
(23) Ronsin (Albert), op. cil., p. 108, § 3. (Retour)
(24) Ibid., p. 38. (Retour)
(25) Delisle (Léopold), Le cabinet des manuscrits, Paris, Imprimerie nationale, 1868-1881, 4 vol., t. 11, p. 267. (Retour)
(26) La correspondance des Bouhier est conservée à la bibliothèque nationale de Paris, ms. fr. 22238. (Retour)
(27) Delisle (Léopold), op. cil., t. II, p. 268. (Retour)
(28) Ibid., p. 269. (Retour)

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