Austère, l'art roman ? Pas à Saint-Léonce. Cette cathédrale forteresse sise au cœur d'un véritable sanctuaire chrétien renferme un livre d'images extraordinaires et parfois bien païennes.
FRÉJUS
Le célèbre "imagier" sur la porte de Saint-Léonce
Dans l'imaginaire médiéval
C'est une machine à remonter le temps, un miracle qui a traversé seize siècles d'histoire, les invasions, les guerres et les pillages. Un joyau de la chrétienté aux allures de château fort. Avec sa tour carrée et son clocher à flèche colorée, le groupe épiscopal Saint-Léonce, tout en grès rose de l'Estérel, nargue bravement le temps, et continue d'animer le cœur médiéval de l'antique cité fondée dès 49 avant Jésus-Christ.
Des terrasses de la place Formigé, la vision de cet ensemble indissociable est soufflante. Sur le côté, un baptistère du Ve siècle, puis une entrée Renaissance pour une église cathédrale datant du XIIe siècle, un cloitre du XIVe siècle, des bâtiments canoniaux du XIIIe et une résidence épiscopale transformée au XIXe siècle en hôtel de ville ! Avant de pénétrer dans le sanctuaire, un arrêt sur l'intrigante double porte de 1530 s'impose. Quelle curieuse entrée... Deux fois huit panneaux sculptés de noyer aux thématiques médiévales où se nichent, au milieu de scènes traditionnelles, des images insolites, voire hérétiques. Ici, le mariage de Marie avec Joseph, seulement relaté par les évangiles apocryphes. Et là, non loin d'affreux diablotins assis sur un chaudron pour retenir des damnés en train de cuire, Bacchus en personne qui s'active à presser du vin ! On se frotte les yeux, Dionysos sur la porte du Seigneur. Mais il est vrai qu'à la cathédrale Saint-Léonce, on est rompu aux rites étranges. Nous sommes dans le seul endroit de la chrétienté où le prêtre presse une grappe de raisin dans le calice pour la fête du vin. Mise en place en 1300 par l'évêque Jacques Duèze, futur Jean XXII, et avec l'accord spécial de Rome, la tradition de la Messe du Raisin s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. Elle se célèbre généralement le dimanche le plus proche de la Transfiguration. A quoi fait donc référence cette cérémonie d'allure païenne ? En 256, alors qu'il officie dans le cimetière de Saint-Calixte à Rome, le pape Sixte II et quatre de ses diacres sont arrêtés par les soldats de l'empereur Valérien, puis décapités. On dit que leur sang vint se mêler à celui du calice. Sur la porte droite, on s'étonne encore d'une effrayante série composée d'un corps décapité, d'une tête, de jambes, de mains liées et de cimeterres (les sabres orientaux). Rappel incontournable d'un passage des Sarrasins, qui mirent la ville à sac en 890 et firent régner la terreur pendant tout le IXe siècle depuis leur base de La Garde-Freinet.
Pénétrons enfin sous le porche du XIIe siècle. A gauche le fameux baptistère, rarissime exemple du Ve siècle conservé en élévation (un seul autre à Poitiers), avec ses colonnes antiques de ré-emploi et sa profonde cuve baptismale. Sa forme octogonale symbolise la résurrection qu'implique le baptême, le chiffre 8 étant l'unité qu'on ajoute au tout (le 7 + 1).
DOUBLE NEF
A droite, la cathédrale Saint-Lèonce proprement dite, qui tient son nom du premier évêque connu de Fréjus. Elle fut construite entre le XIe et le XIIIe siècle, sur les traces d'une cathédrale primitive. Son originalité consiste en sa double nef : nef diocésaine Notre-Dame, la plus grande, réservée au chapitre, et nef paroissiale Saint-Etienne pour les fidèles. Bien mieux séparées à l'origine, elles ont été ouvertes l'une sur l'autre au XIIIe siècle lorsque la nef Notre-Dame a été retouchée. Depuis ces derniers travaux, si Saint Etienne a gardé son style purement roman avec son berceau en plein cintre agrémenté de doubleau, Notre-Dame possède désormais des croisées d'ogives lombardes. Elles seront les toutes premières manifestations du style gothique dans la région. Les marques de tâcherons réalisées sur les murs nous apprennent que les ouvriers qui les réalisèrent étaient les mêmes que ceux qui avaient bâti la « tour dite des Templiers » à Saint-Raphaêl.
On devine sur cette vue aérienne le plan en croix de "Forum Julii", l'ancienne ville romaine créée par César
L'évêque à la tête de veau
La véritable pièce maîtresse de l'ensemble, unique au monde, se trouve à l'abri de colonnettes de marbre, dans le cloitre voisin. Si le terme suggère dans l'esprit contemporain un espace de silence et de méditation, le cloitre de Saint-Léonce ne sera rien d'approchant. Construit au XIVe siècle, après la cathédrale dont il bouche l'entrée, il va devenir le lieu de passage incontournable des paroissiens. Lieu d'accueil et de réception, bruissant des activités de la ville, les chanoines veulent aussi en faire le symbole de leur puissance. En 1350, ils firent ainsi réaliser pour les galeries des plafonds en bois entièrement peints, divisés en 1235 panneaux disposés en damier bleu et rouge. Illustrant des scènes de la vie quotidienne, des animaux familiers, des monstres ou des saints, cet imagier extraordinaire constitue pour nous une plongée directe dans l'univers imaginaire du Moyen Age. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, les sujets religieux sont loin d'être les plus nombreux. L'humour en revanche y est étonnamment présent, sous la forme de la caricature (chanoine bonhomme ou vieille femme ridée), du grotesque (un évêque à tête de veau et un clerc à tête d'aigle), de l'érotique (une incroyable représentation d'une centauresse au sexe exhibé), voire du scatologique (cette femme accroupie, qui retrousse le bas de sa robe, n'est-elle pas tout bonnement en train de satisfaire au besoin naturel ?).
L'exceptionnel baptistère du Ve siècle jouxte l'entrée Renaissance de la cathédrale Saint-Léonce
D'improbables chimères
Dans le registre du fantastique, les artistes ont laissé cours à leurs plus étonnants délires. Les monstres à visage hautain, les humanoïdes avec attributs animaux, se déplaçant sur un plan à 45°, ou ayant les yeux et la bouche sur le torse côtoient les chimères aux griffes les plus invraisemblables, comme ces mélanges d'animaux et d'objets (un oiseau à tête de cornet, un dragon à tête d'enclume...). Faut-il y voir une représentation de l'Apocalypse? Une figuration des menaces qui pèsent sur le pêcheur ? La représentation de mondes inconnus que l'on est justement en train de découvrir ? Ou de l'existence même ? L'imagier de Fréjus illustre merveilleusement en tout cas l'ambivalence de ce XIVe siècle, où gravité et espièglerie, peste et carnavals, bien et mal vont de pair.
MARIE LEMONNIER
Le dépouillement de l'art roman et la richesse symbolique d'un livre de pierre la primatiale constitue une étape obligée pour tous les visiteurs de la cité provençale.
ARLES
Les trésors de Saint-Trophime
« Le vide est plein », lance énigmatiquement Jean-Maurice Rouquette. La main épousant la forme d'un bénitier, celui qui en fut le conservateur durant quarante ans semble toujours aussi subjugué par son église romane du XIIe siècle, classée par Prosper Mérimée en 1840. Il en vante tour à tour « la sobriété », « la simplicité », « son dépouillement » même, « propice au recueillement ». Et il est vrai qu'avec l'exceptionnelle hauteur de son vaisseau et sa belle profondeur, accentuée par l'étroitesse de sa nef, une incroyable majesté se dégage de ce volume sans décoration. Le vide est plein. On sent presque poindre un soupçon de regret quand le maître évoque les travaux du XVe siècle qui ont fait perdre au lieu son abside et sa confession, pour un chevet gothique au chœur tout en longueur, entouré d'un déambulatoire et de chapelles rayonnantes. Dans le collatéral nord, le regard s'arrête sur une mystérieuse et monumentale inscription. Il s'agit d'un poème en trois vers formant acrostiche à la gloire du patron de la « primatiale » (titre accordé en 417 par le pape Zozime) : « TRO(PHIMVS) GAL(LIARVM) APO(STOLVS) » («Trophime, apôtre des Gaules »). C'est lui en effet que la tradition a toujours regardé comme le fondateur de la communauté chrétienne d'Arles. Au IXe siècle, on l'assimile même au Trophime, disciple de saint Paul, dont parlent les Actes des Apôtres. Mais c'est au XIIe siècle, avec le transfert définitif de ses reliques dans la crypte de la nouvelle cathédrale, et en pleine mode des pèlerinages de Compostelle, que son culte trouvera à s'épanouir. La cathédrale devient ainsi une « église à reliques », qui compte aussi trois sarcophages paléochrétiens du IVe siècle.
Le vrai trésor de Saint-Trophime, c'est sous le soleil de la place de la République, qu'il faut le chercher. Car notre primatiale s'ouvre par un véritable arc de triomphe à la romaine !
COMME UN LIVRE OUVERT
Conservé dans un état exceptionnel, le portail est venu s'ajouter trente ans après la construction de l'église, vers 1170-1180. Peut-être en a-t-on accéléré la réalisation pour le couronnement de Frédéric Barberousse, qui se tint à Saint-Trophime le 21 juillet 1178 ? Avec la somptueuse façade de l'abbaye de Saint-Gilles-du Gard, ils constituent les deux seuls grands ensembles sculptés de l'art roman de Provence. Sa symbolique est extrêmement réfléchie et se lit de gauche à droite et du bas vers le haut. « Un véritable bouquin ouvert devant vous ! » note Jean Maurice Rouquette. Il ne représente pas le Jugement dernier, comme on le dit souvent, mais la dernière apparition du Christ, son ascension. Entouré de trois anges, le Christ trône au centre du portail, sa main droite avec trois doigts relevés dans un geste de bénédiction à l'antique, et sa main gauche appuyée sur le Livre du Temps à gros fermoir, signifiant la fin de l'histoire. Impossible de résumer la richesse des bas-reliefs et des sculptures. Signalons simplement que tout le registre inférieur est consacré à la misère du temps présent : épreuves et combats de l'homme conne le péché, tel Daniel dans la fosse aux lions. Et qu'en remontant les frises, par l'exemple des saints et de la vie de Jésus, l'espoir nous est donné d'un destin triomphal aux côtés de Dieu... Ou d'une retombée aux enfers, si l'ange au glaive nous ferme l'entrée du Paradis. « Mais la découverte qui m'a le plus bouleversé, s'arrête soudain le professeur Rouquette, c'est la polychromie. » Lors du décapage de la façade, qui était devenue grise, on a vu réapparaître des bandes horizontales et les couleurs de la pierre : six colonnes en calcaire noir, deux pilastres de granit rose et une colonne centrale en quartz.
« On tient la preuve que le premier art roman lombard est venu jusqu'ici ! »
MARIE LEMONNIER
EMBRUN
Fière lombarde
On raconte que cette cathédrale du XIIe siècle, la plus grande de la région, possède une Vierge miraculeuse. Et à en croire le nombre des ex-voto accrochés ici, la légende est encore bien vivante. C'est Louis XI qui la créa lors d'un passage à Embrun, où il décréta qu'il avait recouvré sa santé pulmonaire non pas en raison du bon air frais de la montagne, mais plutôt grâce à la Vierge à l'enfant peinte sur le fronton de Notre-Dame ! Il n'en fallut pas plus pour agacer les Protestants qui, opposés au culte marial, détruiront ladite fresque en 1585. C'était sans compter sur la dévotion des fidèles, qui la feront reproduire à l'intérieur, en mosaïque, au XVIIIe siècle, et lui dédieront l'autel principal.
SCHISTE ET CALCAIRE
Mais c'est comme bien souvent, en levant les yeux vers le ciel, que les plus grandes merveilles nous apparaissent. Un plafond zébré ! Des lignes noires et blanches parfaitement droites d'un bout à l'autre de l'édifice ! Calcaire et schiste, le bien et le mal représentés au royaume de Dieu. Ce génie de la perspective en dichromie revient aux prodigieux ouvriers lombards, venus de l'Italie voisine, et rompus aux procédés de Byzance, d'Espagne ou d'Afrique du nord. On retrouve d'ailleurs la signature lombarde dans de nombreux partis pris architecturaux : le portail et le clocher sur le côté, un plan basilical sans transept (de forme rectangulaire donc), les arcatures au-dessus des façades, et, surtout, le grand jeu byzantin des couleurs. Pour réaliser cette riche polychromie tout à fait propre à Embrun, les artisans ont utilisé les richesses de la région : le schiste gris-bleu, la pierre locale, le calcaire blanc, le marbre rose de Guillestre (à vingt kilomètres de là) et, pour les superbes lions du porche, le marbre vert du Queyras, à la frontière de l'Italie.
STALLE PRESIDENTIELLE
Romane à l'extérieur, gothique pour le voûtement de sa nef centrale, Notre Dame n'en finit pas d'étonner avec son orgue du XVe siècle (il en existe seulement trois autres en France !), ses précieuses peintures gothiques sur bois ou ses stalles en noyer aux miséricordes sculptées de la même époque. Toutes choses réalisées grâce à l'argent du généreux mécène Louis XI — celui qui avait vu la Vierge. C'est d'ailleurs en remerciement de ses dons que le pape Sixte IV lui attribua le titre honorifique de « protochanoine » (chanoine le plus important) et un siège couvert digne de son rang. Pour la petite histoire, le titre s'est ensuite transmis aux rois de France puis aux chefs d'État. Jacques Chirac est ainsi aujourd'hui protochanoine de la cathédrale d'Embrun. Mais c'est le général de Gaulle qui, le dernier, en 1960, pour l'inauguration du barrage de Serre-Ponçon, a honoré la stalle de son présidentiel séant.
MARIE LEMONNIER
AVIGNON
Le triomphe de la mort
Sur son rocher, la cathédrale Notre-Dame-des-Doms (XIIe siècle, remaniée), à deux pas du Palais des Papes de la seconde Rome, est particulièrement choyée. En plus des sublimes fresques du porche, exécutées en 1340 par le peintre siennois Simone Martini (déplacées au Palais mais encore visibles sous forme de sinopia), elle recèle une représentation murale « des trois vifs et des trois morts » d'une grande rareté, découverte fortuitement il y a une vingtaine d'années. D'autant plus notable qu'elle est elle-même encadrée d'une autre œuvre macabre, absolument étonnante, qui suggère un triomphe de la Mort. En effet, la Faucheuse y crible de dards des gens massés autour d'elle. Ceux-ci ne fuient pas et s'avancent au contraire vers le monstre, puisque tel est le destin de l'homme. À gauche, nous trouvons un pape portant la tiare, suivi d'un groupe d'hommes, de femmes et d'enfants. À droite, c'est un évêque mitré qui précède une même foule, rappelant que nul n'est à l'abri de la mort, qui frappe sans distinction les puissants et les humbles, les illustres et les anonymes.
LES TROIS VIFS ET LES TROIS MORTS
À gauche de la scène, des arcades peintes accueillent les trois morts : trois squelettes, notre état final. Et, tout à droite, trois personnages habillés, les trois vifs. Aux détails des vêtements portés par les vivants, les spécialistes suggèrent que les peintures ont pu être réalisées vers 1320, sous le règne de Jean XXII, deuxième pape d'Avignon, dont le tombeau se trouve ici. Cette datation en fait ainsi l'une des plus anciennes, sinon la plus ancienne représentation connue du « Dit des trois vifs et des trois morts » en Europe.
MARIE LEMONNIER
LYON
 en bas du choeur de la primatiale.JPG)
Le lai d'Aristote
La cathédrale Saint-Jean, promue au rang de primatiale depuis qu'en 1079 l'archevêque de Lyon acquit le titre de primat des Gaules, fut construite sur trois cents ans. La durée de son édification en fait un formidable condensé de tous les styles de l'architecture médiévale : roman (1180), du choeur jusqu'au triforium, gothique simple, gothique rayonnant et puis gothique flamboyant avec sa grande rosace à l'ouest, achevée en 1392. Ses trésors sont nombreux, de l'horloge astronomique du XIVe siècle à sa chapelle des Bourbons, en passant par ses vitraux des XIIe et XIIIe siècles. Mais surtout, elle recèle d'infinis détails, symboliques, mais souvent burlesques, nichés dans tous les recoins de l'église — colonnes, chapiteaux, clefs de voûte — et sur la façade sculptée. Sous l'une des consoles du portail sud, qui abritaient autrefois les statues de saints, il faut lever les yeux pour découvrir la drolatique représentation du fameux « lai d'Aristote ». Ce poème narratif, composé par le trouvère normand Henri d'Andely au début du XIIIe siècle raconte qu'Alexandre le Grand, parvenu au bord du Gange, s'éprit d'une belle indienne prénommée Campaspe. Apprenant cela, son maître, le philosophe Aristote, le mit sévèrement en garde contre les dangers de l'amour. Pour se venger de celui qui avait osé perturber son idylle, la jeune fille donna rendez-vous au roi dès le lendemain à la fenêtre de son palais. Avant sa venue, elle déploya tout son charme devant le cabinet de travail du philosophe qui, fatalement, en tomba à son tour follement amoureux. En gage d'amour, elle obtint de celui ci qu'il la porte sur son dos, à quatre pattes, à travers la prairie. C'est dans cette posture humiliante qu'Alexandre surprit son maître (et qu'il fut ici représenté) ! Néanmoins, le fondateur de l'école péripatéticienne s'en tira habilement, en démontrant que l'amour était en effet un grand danger, même pour un philosophe...
MARIE LEMONNIER
AIX-EN-PROVENCE
La légende de saint Mitre
Le tableau de « La légende de Saint Mitre » visible, avec le Trésor, dans la sacristie de Saint-Sauveur, est une « turquerie » du XVe siècle, probablement sortie des ateliers de Nicolas Froment. La perspective s'y révèle déjà parfaitement maîtrisée et le style du dessin place son auteur dans la droite ligne des peintres d'Avignon, marqués par le réalisme hollandais. Il fut commandé par un certain Mitre de la Roque, fourreur, représenté au premier plan avec sa famille. Organisé en six scènes distinctes sur un même panneau, le tableau évoque l'histoire de saint Mitre, martyr auquel les Aixois vouent une grande dévotion et qu'ils honorent tous les 13 novembre. Il est ici très facilement reconnaissable à sa tenue rouge vif et à son auréole. Chargé de garder les terres d'un riche propriétaire, ce bon apôtre se mit en tête de distribuer le raisin aux pauvres ! Pour le punir, le propriétaire lui fit trancher le cou. On le voit gisant sans tête, sous les yeux du propriétaire. Le bourreau lui-même se contorsionne de très étrange manière, symbolisant sans doute l'anormalité de l'acte qu'il vient d'accomplir. La scène centrale est spectaculaire : saint Mitre se tient debout, sa propre tête entre les mains. Puis on le voit de dos se rendre à la cathédrale afin de présenter sa tête à l'évêque. Signifiant peut-être ainsi que le pouvoir temporel peut bien couper les têtes, le pouvoir spirituel lui sera toujours supérieur.
MARIE LEMONNIER
CARPENTRAS
La Porte juive
, exemple de gothique flamboyant.JPG)
Entreprise en 1404 sur l'ordre du Pape Benoît XIII, en lieu et place d'une ancienne cathédrale romane, Saint-Siffrein ne fut achevée qu'au début du XVIe siècle. Son mur de façade, laissé brut, sera quant à lui revêtu un siècle plus tard d'une façade dans le goût italien. Dans son ensemble, l'édifice constitue une parfaite illustration du gothique méridional. Outre ses tableaux de Mignard, Parrocel et Duplessis, ou les oeuvres du sculpteur provençal Bernus, on retiendra de la cathédrale son portail flamboyant de la fin du XVe siècle. Appelé « Porte juive », en souvenir des juifs convertis qui l'empruntaient pour recevoir le baptême. Car, à l'instar d'Avignon ou de Cavaillon, Carpentras abrita une importante communauté de juifs. Chassés du royaume de France par Philippe le Bel en 1306, puis définitivement bannis par Charles VI le 13 septembre 1394, ceux-ci étaient en effet venu trouver refuge en terres papales. Cependant, en Provence aussi leur situation connut une nette dégradation, particulièrement avec les pogroms du XVe siècle. Notez encore au centre du gâble de la Porte, un joli détail symbolique : la « Boule aux rats » qui représente le temps qui ronge le monde et nous pousse vers la mort.
MARIE LEMONNIER
VIENNE
L'ombre des Templiers
Noblement assise face au Rhône, la cathédrale déchue de la ville qu'on appela autrefois la Vienna sancta, avec pour armes l'hostie et le calice, fut au cours de son existence le témoin d'événements exceptionnels. En 1119 déjà, elle ravit à Rome le privilège d'accueillir la cérémonie de consécration du cent soixantième pape de l'Église, son archevêque Guy de Bourgogne devenu Calixte II, qui offrit au lieu sa cathèdre en marbre blanc. En 1178, elle connut aussi le couronnement de Béatrice, épouse de l'empereur germanique Frédéric Ier Barberousse. Mais c'est le 1er octobre 1311, que dans la grande église Saint-Maurice encore en chantier (comme depuis deux siècles et pour les trois prochains...), s'ouvre la première séance de l'un des plus importants conciles œcuméniques de l'Histoire. Rassemblant deux cents évêques venus de toute la Chrétienté, il est convoqué et présidé par le pape Clément V, sous les pressions du roi Philippe le Bel. Son but : proscrire l'ordre du Temple et surtout, en finir avec son grand maître, Jacques de Molay. Dès les premiers jours du concile, Clément V et les prélats hésitent. Le pape refuse de condamner qui que ce soit. Mais l'année suivante, le 3 avril 1312, l'arrêt tombe : il cède aux injonctions royales et supprime l'ordre du Temple « pour le bien général ». La bulle pontificale «Vox in excelso » est lue à Vienne en présence du roi. C'est la fin des puissants Templiers. Le 19 mars 1314, à Paris, Jacques de Molay monte sur le bûcher. En mourant, il aurait, dit-on, voué le roi et le pape à comparaître, sous un an, devant le tribunal de Dieu. Troublante coïncidence, les deux moururent quelques mois plus tard !
MARIE LEMONNIER
Introduction
Un entretien avec Jacques Le Goff
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