Les secrets des cathédrales

Les secrets des Cathédrales

Chaque année, des millions de touristes franchissent le portail de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ils viennent d'Amérique, de Chine, d'Afrique ou d'Océanie. Certains croient au ciel, d'autres n'y croient pas. Jeunes ou vieux, hommes ou femmes, ils admirent la nef en silence, réunis dans une même fascination. Pourquoi ?
Parce que nous avons tous besoin des cathédrales. Pour des raisons religieuses, parfois. Mais aussi pour le choc esthétique que procurent les arcs s'élançant vers le ciel, les jeux d'ombre et de lumière entre les fûts des colonnes, l'éblouissement des vitraux. Pour la paix et l'harmonie que suscitent l'ampleur des volumes et la légèreté des croisées d'ogives. Les cathédrales nous parlent. Elles témoignent d'une époque, le Moyen Age, qui a inventé l'Europe et le monde moderne, mais qui reste empreinte de secrets et de mystères. Lieux de spiritualité, de beauté, de lumière, elles nous touchent forcément, comme le ferait une terre d'enfance.

Les secrets des cathedrales, p 06, Construction d'une eglise a Saint-Denis (Miniature du XIIIe siecle)
Miniature du XIIIe siècle représentant la construction d'une église à Saint-Denis. Les bâtisseurs de cathédrales on fait prendre à l'histoire humaine un tournant décisif.

Est-ce suffisant pour expliquer l'étrange exaltation qui saisit chaque visiteur, quelles que soient sa culture, sa religion, son origine ? Il y a autre chose : les bâtisseurs de cathédrales ont, consciemment ou pas, fait prendre à l'his-toire humaine un tournant décisif. En projetant les flèches gothiques vers le ciel, ils ont défié les lois de la pesanteur qui régissaient tous les monuments — des pyramides aux temples — depuis la nuit des temps. Ils sont passés d'une architecture horizontale à un déploiement vertical vertigineux, arrachant les hommes à la terre, à la soumission, à la peur. Dans les cathédrales, la lumière explose, les regards s'élèvent. Cet élan vers le haut, ce besoin d'espace et de liberté né au XIe siècle, les hommes ne l'oublieront plus.
Dix siècles plus tard, le message des cathédrales nous est devenu souvent hermétique. Le grand médiéviste Jacques Le Goff nous en donne ici la clef et retrace la saga des bâtisseurs. Mehdi Benyezzar explique « comment lire une cathédrale » en nous donnant une vision étonnante de la plus parfaite d'entre elles, celle de Chartres. Nos envoyés spéciaux — Laurent Joffrin dans l'Ouest, Jean-Claude Guillebaud dans le Sud-Ouest, François Caviglioli, Sylvie Véran et Robert Marmoz dans le Centre, Marie Lemonnier dans le Sud-Est, Bernard Géniès dans le Nord et l'Est, Ursula Gauthier dans l'Ile-de-France — ont parcouru la France pour nous décrire les plus belles cathédrales de chaque région. Ils ont aussi déniché les chefs-d'oeuvre oubliés des guides, les perles rares que vous découvrirez sur vos chemins d'été. Vous y trouverez peut-être « votre » cathédrale, celle qui parle au coeur, celle que vous n'oublierez plus.

JOSETTE ALIA


Chartres, Plan


Démons et merveilles

Ce qui fascine dans l'art des cathédrales, c'est le contraste entre la spiritualisé des grandes scènes religieuses et la truculence monstrueuse, voire obscène, des motifs secondaires, qu'on aperçoit en scrutant certains chapiteaux, souvent situés en hauteur ou cachés aux regards.
Dans une étude passionnante, Claude Gaignebet (1) donne de multiples exemples de l'érotisme et de l'ésotérisme présents dans le décor sculpté des églises. L'érotisme, c'est le motif, présent surtout dans l'Ouest aquitain, de la sirène offrant ses seins aguichants, ou écartant ses jambes-nageoires repliées, dans la posture professionnelle des prostituées. L'ésotérisme, c'est la gargouille figurant un homme qui place sa main droite, le pouce faisant équerre, à plat sur sa gorge. Première lecture : il s'agit d'un hommage à saint Blaise, patron des maçons mais aussi guérisseur des maux de gorge. Deuxième lecture : c'est une allusion au meurtre d'Hiram, l'architecte du temple de Salomon, figure initiatique de la franc-maçonnerie que Gaignebet aperçoit sur la cathédrale de Strasbourg au milieu d'une véritable forêt de symboles maçonniques.

Les secrets des cathedrales, p 10, Autun, Eve

Son érudition savoureuse n'est pas à l'abri des embardées. Mais son sens aigu des associations de symboles retrouve la nature profonde de la culture médiévale. Il nous apprend à lire la cathédrale comme un livre total, une encyclopédie multimédia, un Google de pierre, de verre et de lumière.

ANDRE BURGUIÈRE

(1) « Art profane et religion populaire an Moyen Age », par Claude Gaignebet et J. D. Lajoux, Presses universitaires de France.

IL A INVENTÉ L'ART GOTHIQUE

« C'est moi, Suger, qui ai en mon temps...»


Les secrets des cathedrales, p 08, Suger
Portrait de Suger

En décidant de percer sa basilique de larges verrières, dans les années 1140, Suger, abbé de Saint-Denis, a inventé l'art gothique. Et pour que personne ne l'ignore, il l'a fait inscrire sur les murs de l'église « C'est moi, Suger, qui ai en mon temps agrandi cet édifice. » Fils de paysans pauvres confié aux moines de Saint-Denis, il a appris à lire sur le même banc d'école que le fils du roi, le futur Louis VI, dont il est devenu l'ami et bientôt le conseiller. A l'abbaye de Saint-Denis qui leur sert de lieu de sépulture, de coffre-fort et de laboratoire d'idées, les rois de France ont conféré puissance et richesse. Suger aime la richesse, mais afin de l'offrir à Dieu. Pour être offerts à Dieu, les pierres précieuses et objets d'orfèvrerie qu'il a fait venir des quatre coins de l'Europe doivent être plongés dans la lumière. Car pour Suger, lecteur de Denys l'Aréopagite, philosophe néoplatonicien, la lumière nous relie au divin. D'où l'idée, qui va faire de lui l'initiateur du style gothique, d'alléger et de surélever l'architecture de la basilique pour y faire largement pénétrer la lumière. Pour Suger, la lumière qui émane de Dieu n'éblouit pas. Elle éclaire l'esprit en même temps qu'elle élève l'âme. Marqué par le premier essor de la scolastique, il fait confiance à la raison et même au raisonnement abstrait pour régler les affaires humaines. Les innovations de l'art gothique ne peuvent se comprendre sans un essor de la rationalité dans la culture lettrée comme dans les pratiques quotidiennes du travail.

André Burguière



Suite du dossier :
Un entretien avec Jacques Le Goff
Des cathédrales du sud-est de la France

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