L'Eglise au Moyen-Age

L'Eglise au Moyen-Age

Le monastère

Un groupe de jeunes gens chemine à travers bois. Soudain, du sommet d'une colline, ils aperçoivent au creux d'un vallon, les importants bâtiments de l'abbaye où ils désirent devenir moines. L'ensemble rappelle l'antique maison gréco-latine. Autour du cloître, vaste cour carrée entourée de galeries servant de promenoir, on aperçoit au Nord l'église, au Sud les cuisines et le réfectoire, à l'Ouest les hangars ; à l'Est enfin, la grande salle de réunion et les dortoirs. En dehors de l'enceinte, on découvre l'infirmerie, L'hostellerie, les nombreux ateliers, les écuries. Plus loin, un gros village de masures de serfs s'élève tout près du moulin qui borde la rivière.
Serfs et moines sont au travail. Les uns abattent des arbres afin que champs et prés gagnent sur la forêt, d'autres labourent ou travaillent les vignes. D'autres enfin charroient des matériaux de construction, car l'abbaye s'agrandit sans cesse.
Une heure plus tard, les jeunes gens, accueillis par le frère portier, écoutent le chef du monastère.
« Ainsi, leur dit l'Abbé, vous voulez devenir religieux. Rien de plus commun à notre époque de grande foi, où tout le monde croit en Dieu, et chacun redoute d'aller en enfer. Or, le plus sûr moyen de gagner le ciel, c'est de servir Dieu.

Les deux clergés

Mais vous auriez pu vous faire prêtres et continuer à vivre parmi le peuple, c'est-à-dire dans le siècle. Vous auriez alors fait partie du clergé séculier ; car celui-ci aussi est puissant. Il a une organisation solide qui ressemble à celle de l'Empire romain. Dans chaque paroisse, un curé soigne (cure) les âmes des fidèles, avec l'aide d'un ou plusieurs vicaires.
Au-dessus, se trouve l'évêque, obéissant lui-même à un archevêque de grande ville. Evêques et archevêques sont de grands seigneurs féodaux. Ils sont riches, prélèvent la taille et la dîme, ont des serfs et des soldats ; ils vont à la chasse, font parfois la guerre et rendent la justice. Au-dessus de tous, un chef suprême, le Pape, qui siège à Rome, commande également le clergé des monastères auquel vous voulez appartenir, et qu'on nomme le clergé régulier, parce qu'il obéit à une règle.

La règle monastique

Cette règle varie selon l'ordre religieux. Il y a celle des Franciscains, fixée par Saint François ; celle des Dominicains, établie par Saint Dominique, et la nôtre, à nous Bénédictins, qui est la plus ancienne, et fut créée par Saint Benoît. Il faut que vous la connaissiez dès votre entrée. Vous serez novices pendant deux ans, vous ne deviendrez moines qu'après ce délai. Vous ferez alors vœu de pauvreté, de travail et d'obéissance. Votre chef élu par tous, c'est moi. Je vous avertis que le cachot punira les fautes. Car si, dans beaucoup de monastères, on oublie l'obéissance à la règle, ici, je veux qu'on respecte ses vœux. La première des sept prières de la journée a lieu à 2 heures du matin. On doit travailler de six à sept heures par jour, soit aux champs, soit aux ateliers, à l'hos-tellerie ou à la bibliothèque. Les heures de repos sont consacrées à la lecture. Personne ne doit se plaindre de la nourriture, ni des châtiments. Le sommeil ne dure que quelques heures, et il faut dormir vêtu et chaussé. Personne ne doit posséder rien en propre.

Le rôle de l'Eglise

Maintenant, vous savez ce qui vous attend. Vous persévérez dans votre intention ?... Bien, suivez-moi, je vais vous faire visiter le monastère, et vous comprendrez en même temps le rôle que joue l'Eglise à notre époque. »
Ils pénètrent dans une grande pièce froide :
« C'est le réfectoire, où l'on mange en silence en écoutant une lecture pieuse. Ils arrivent ensuite au chauffoir, la seule pièce chauffée de l'abbaye. Elle sert de bibliothèque et de salle de lecture. De nombreux moines assis ou debout sont occupés à recopier des manuscrits. Certains dessinent des enluminures. »
«Voyez, dit l'Abbé, dans notre siècle d'ignorance, il n'y a que nous, les clercs, qui sachions lire et écrire. Ici on conserve et on recopie les livres des célèbres écrivains grecs et romains qui, sans nous, seraient perdus. C'est une œuvre de longue haleine, un véritable travail de bénédictin. C'est ici que l'on enregistre les actes de naissances au moment du baptême, ainsi que les mariages et les décès dans les villages environnants (l'état civil). Les deux moines que vous voyez au bout de la salle, écrivent l'histoire de notre temps. Grâce à ces chroniques, les générations futures connaîtront les grands événements de notre époque.
Nous avons ici une école pour quelques fils de paysans intelligents. C'est la seule qui existe à des lieues à la ronde... Sortons...
Ce bâtiment que vous voyez en face est la boulangerie. C'est notre rôle d'être charitables. Trois fois par semaine, l'aumônier distribue à des dizaines de pauvres, une livre de pain fait d'un mélange de farine de seigle, d'orge et d'avoine. Mais quel que soit le jour où ils se présentent, mous donnons également une livre de pain rassis aux pauvres passants, étrangers au pays.
Car nous devons pratiquer l'hospitalité envers tout chrétien qui demande, et surtout aux pèlerins. Les nobles sont hébergés dans ce beau bâtiment que vous voyez en dehors de l'enceinte, et les piétons et les mendiants sont reçus par l'aumônier dans cette grande bâtisse située en face.

La richesse de l'Eglise

— Mais, demande timidement un jeune novice, notre abbaye est donc riche ?
— Certes, répond l'Abbé. Nous n'avons pas tant de richesses qu'un des monastères de notre ordre, qui abrite plusieurs centaines de moines, possède vingt mille serfs, et autour duquel une ville s'est fondée. Non, nous n'avons à nous qu'un gros village, qui porte le nom de notre saint patron, mais nous possédons déjà ici d'importants biens. Nous en acquérons chaque jour par notre travail ; nous avons défriché la forêt, semé et planté. Nous vendons une partie de nos récoltes. En outre, nous recevons de nombreux dons : des paysans nous donnent leurs biens pour se mettre sous notre protection. Ils reçoivent en retour le logement, l'habillement, la nourriture. D'autres nous font des donations de terres, de récoltes ou d'animaux pour avoir part à nos prières et à nos messes ; des seigneurs se montrent généreux pour se faire pardonner leurs crimes. C'est surtout aux environs de l'an 1.000 que notre richesse s'est accrue. Beaucoup croyaient à la fin du monde, et pour gagner le ciel, ont tout donné ou vendu à bas prix.

La puissance de l'Eglise

Voyez-vous, grâce à cette richesse, l'Eglise est puissante, et vous faites bien de vouloir entrer dans ses rangs.
Car elle veut être obéie des seigneurs. Elle a créé la Chevalerie et la cérémonie de nomination d'un chevalier est devenue, avec sa . veillée de prières, plus religieuse que militaire. En proclamant la Trêve de Dieu, l'Eglise a interdit aux nobles de faire la guerre du mercredi soir au lundi matin. Puis, par la Paix de Dieu, elle a défendu de maltraiter certaines personnes. Tenez : voici ce que nous avons fait jurer l'an dernier à un méchant seigneur du voisinage :
« Je n'envahirai pas les églises, je n'attaquerai pas le clergé, je n'enlèverai ni vache, ni cheval, je n'arrêterai pas les paysans, et ne les fouetterai pas pour leur voler leur argent ; je ne déracinerai pas les vignes, ni n'incendierai les maisons. »
Et malheur à celui qui désobéit et viole son serment. Nous lui infligeons la pénitence publique : il recevra, par exemple, les verges, tous les dimanches avant la messe, ou il devra aller très loin en pèlerinage, parfois les fers aux pieds. S'il persiste, il est excommunié, retranché du monde chrétien ; cela arrive même aux rois. Personne ne parle à l'excommunié, personne ne le reçoit. Il faut le fuir comme un pestiféré. Si c'est un prince puissant, l'Eglise lance l'interdit, et, dans ses domaines, les églises sont fermées, on ne célèbre plus le culte, et la révolte du peuple croyant oblige le prince à se soumettre. D'ailleurs, nous avons le droit de justice, et le Tribunal de l'Inquisition sait frapper ceux qui se rendent coupables de crimes contre l'Eglise, ou font preuve d'impiété, ce qui est la même chose ; ils sont torturés. On s'amende vite quand on a les doigts dans des étaux, ou qu'on subit le supplice de l'eau ou du fer rougi. Après quoi, ils peuvent être condamnés à l'emmurement, c'est-à-dire à la prison perpétuelle. S'ils sont relaps, c'est-à-dire s'ils retombent dans leur erreur, ils sont brûlés vifs.
La visite est terminée. Allez maintenant vous reposer.

J.-M. LEPOEZAT-GUIGNER.
Inspecteur Primaire.
1953


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