L'image de l'autre au Moyen Age. La représentation du monde rural dans le Guide du pèlerin de saint-jacques de compostelle
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Résumé
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Le discours tenu au XIIe siècle par l'auteur du Guide sur le monde rural révèle les images stéréotypées que l'Église et les hommes de religion se font des paysans. Dans sa description des populations rurales du sud-ouest de la France et du nord de l'Espagne, Aimery Picaud accumule une série de poncifs et de préjugés aussi grotesques qu'humiliants. Le paysan y est dépeint sous des traits péjoratifs qui l'affublent de vices et de défauts : laid, méchant, inculte, barbare, luxurieux. Cette image " noire " de la paysannerie, combinant racisme de classe et racisme culturel, n'a pourtant guère choqué nos érudits contemporains, historiens (de l'Église) et historiens de l'art qui ont eu recours à cet ouvrage.
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Abstract
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The writings which appeared in the 12th century by the autor of Guide concerning the rural population, revealed stereotyped images that the church and the men of that time thought of the peasants. In this description of the rural population in the southwest of France and the North of Spain, Aimery Picaud articulated a series of clichés and prejudices that were as grotesque as they were humilating. The peasant was described using derogatory characteristics which depicted vices and faults, such as : ugly, mean, stupid, barbarian and lustful. This black image of the peasantry combined with class racism, and cultural racism, hardly shocked the contemporary writers of that era, such as : church historians, and art historians, who used this Book as a reference of their writings.
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Je dédie ce texte à Raymond Labounoux, viticulteur
Que disent au Moyen Âge les discours dominants sur le monde rural ? Et pour se limiter au point de vue de l'Église, quelles sont les images précises de la réalité paysanne qui interviennent dans les textes produits par l'élite cléricale instruite ?
Le XIIe siècle nous a laissé en la matière un document très éclairant : le fameux Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle. On sait que le phénomène de pérégrination acquit une grande ampleur aux XIe et XIIe siècles en raison de la nature particulière du sentiment religieux de l'époque. Les pèlerinages donnèrent naissance à une littérature de guides [1]. L'une des œuvres les plus célèbres de cette littérature à usage de pèlerins est donc le Guide du pèlerin de Saint-Jacques qui constitue un des éléments (le cinquième livre) d'un recueil, compilé en 1139, le Liber Sancti Jacobi, connu encore sous le nom de Liber Calixtinus.
Le Guide, probablement l'œuvre du clerc poitevin Aimery Picaud [2], offre un profil d'ensemble de la route avec ses difficultés : une manière d'avertissement de tout ce que le pèlerin doit savoir avant de prendre son bâton. Destiné à donner aux pèlerins des conseils pratiques pour leur voyage et à leur indiquer les sanctuaires où ils doivent s'arrêter pour vénérer des reliques, l'ouvrage propose des itinéraires avec les étapes, au moins en terre espagnole. Du fait de la situation géographique de l'Aquitaine, ces itinéraires prennent la région en écharpe, du nord-est au sud-ouest, en convergence vers le Béarn et le Pays basque, pour franchir les Pyrénées par Roncevaux ou le Somport ; la route passe ensuite par la Navarre, puis la Castille, pour aboutir en terre de Galice. La via Turonensis (celle qui vient de Tours mais ici prise à partir du Poitou) du Guide conduit ainsi les pèlerins du nord et de l'ouest par Tours, jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle. Un des chapitres du livre porte sur la description des pays traversés et des mœurs rurales de leurs habitants. Comme on va pouvoir en juger, Aimery Picaud y distribue les labels de civilisation et d'humanité, de barbarie et d'animalité avec une arrogance et une sérénité à couper le souffle. La violence des préjugés autour desquels s'ordonne le regard de ce clerc " cultivé " n'a pourtant guère choqué nos érudits contemporains, historiens (de l'Église) et historiens de l'art qui ont eu recours à cet ouvrage. Mais nous en reparlerons en temps voulu.
NATURE/CULTURE
Le voyage commence donc sous les meilleurs auspices... en pays poitevin. Difficile d'imaginer que le beau, le bien, ne s'accordent point avec ce qui est familier. Le pays de notre pèlerin est une contrée pleine de délices. Prosperitas et voluptas : la terre fertile y répand partout ses bienfaits, et les bonnes mœurs font de ses habitants un modèle de civilité. Aimery Picaud ne tarit pas d'éloges sur sa région : " […] après Tours, l'on trouve le pays Poitevin, fertile, excellent et plein de toutes félicités. Les Poitevins sont des gens vigoureux […], élégants dans leur façon de se vêtir, beaux de visage, spirituels, très généreux, larges dans l'hospitalité " [3].
Mais le ravissement, hélas, est de courte durée. L'idéal cède le pas aux affres du réel. À la délicatesse et finesse d'esprit qui prévalent chez les gens cultivés — entendons : la caste des clercs dont fait partie l'auteur — s'oppose la " brutalité " du monde rural. Les rustici méritent bien le qualificatif de " rustres ", car leur univers s'inscrit dans un milieu naturel hostile. La rudesse de la vie paysanne traduit l'appartenance et l'adhésion de l'homme de la campagne au domaine sauvage de la nature. Le paysan est l'autre, et d'abord géographiquement. Aimery Picaud se plaît à évoquer l'épreuve qui attend le voyageur lorsque celui-ci pénètre à l'intérieur des Landes de Gascogne : épreuve angoissante, le pire des affrontements avec une nature ennemie, celle de l'enlisement dans les sables marins, au milieu d'un désert et dans l'épuisant harcèlement des nuées de taons qui vous poursuivent.
Si " pays désolé ", alors manières de vivre primitives. La région inhospitalière où vivent ces paysans est l'image implicite de leur sauvagerie. Soumis aux lois brutales de la nature, leur état s'apparente plus à celui des sauvages qu'il n'appartient à la sphère de l'humain. L'auteur du Guide, manifestement mal à l'aise dans cet univers qui n'est pas le sien, préfère s'en tenir à des jugements tout faits. Sa méconnaissance du monde paysan s'accompagne d'ailleurs d'une description des anciennes landes de Gascogne pour le moins discutable ; l'aspect désertique du pays, comme l'a montré Charles Higounet, vaut surtout pour les cinq premiers siècles du Moyen Âge, et concerne seulement les confins de la lande avec le Condomois, l'Armagnac, le Marsan. L'occupation y était très espacée. Mais à partir du XIe siècle, on constate que " la vie bouillonne partout et qu'une série de faits et d'entreprises, extension des terroirs et formation d'habitats nouveaux, postule cette croissance " [4].
Qui dit ruralité dit aussi zones sous l'emprise de la forêt. Or la forêt passe pour être au Moyen Âge le lieu par excellence de la vie sauvage. Ne serait-ce qu'étymologiquement : silva < silvaticus < salvaticus. Le villageois qui fréquente la forêt incarnera donc le sauvage en personne. Voici ce qu'écrit Aimery Picaud à propos des paysans basques : " Ce sont des gens féroces et la terre qu'ils habitent est hostile aussi par ses forêts et par sa sauvagerie " [5]. L'équation " ruralité sylvestre = plongée dans l'animalité sauvage " illustre ici la ligne de partage que met en jeu l'opposition nature/culture. Dans l'Occident médiéval, en effet, " le dualisme fondamental culture-nature s'exprime à travers l'opposition entre ce qui est bâti, cultivé et habité (ville-château-village ensemble) et ce qui est proprement sauvage (mer-forêt)... " [6]. Puisque l'espace sylvestre représente l'envers de la société et de la civilisation, aucun doute alors que les paysans-bûcherons vivant en contact avec la forêt appartiennent à une sous-humanité, à mi-chemin entre l'homme et la bête. Notre clerc poitevin oublie que ce lieu " sauvage " est pourtant bien utile aux hommes de son temps [7] : pour leur nourriture quotidienne, leur habitation (bois), mais aussi les produits appréciables qu'on en tire (produits résineux pour les torches et les cierges, miel des essaims sauvages tant recherché pour un monde longtemps privé de sucre, etc.). N'importe ! L'univers des paysans et travailleurs de la forêt exclut qu'on reconnaisse en lui une quelconque positivité, il demeure inexorablement séparé de ce qui fonde la société humaine et civilisée.
" BARBARE "
L'altérité paysanne n'apparaît pas seulement géographiquement, mais linguistiquement. Elle opère sur le terrain du langage, là même où s'énonce pour Aimery Picaud l'infériorité de l'homme de la campagne. Le langage constitue en effet un élément important dans le jeu de la distinction, en ce qu'il retraduit les différences hiérarchisées et hiérarchisantes du monde social. L'infériorité attribuée au paysan réside dans le fait que celui-ci parle une langue qui n'est pas celle légitimée et valorisée (le latin) par le clergé. Il ne peut s'exprimer qu'à travers une langue identifiée comme " vulgaire ", et qui se situe du côté de l'oralité (comme communication propre à la société " sauvage " ou " primitive "), par opposition à la langue écrite, instrument de savoir réservé à l'élite, objet de pouvoir de l'institution ecclésiale. Ce n'est pas par hasard si le mot rusticus, associé au langage — lingua rustica, peut-on lire à propos des manières " rudes " de parler chez le paysan de Saintonge et du Bordelais — désigne celui qui vit à la campagne et ce qui est " vulgaire ". Vulgaire, c'est-à-dire " commun ", " ordinaire ", ou " populaire ". La " vulgarité " du langage rural signifie encore, littéralement, qu'il est assimilable à un parler " grossier ". Lingua rustica sert en outre à caractériser l'aspect prétendument " simple ", " naïf " de ce qui touche au contenu de la parole paysanne.
La valeur péjorative que connotent ces adjectifs atteint un degré supplémentaire lorsqu'il est question purement et simplement du langage " barbare " des paysans basques : " Puis, aux alentours des ports de Cize, se trouve le Pays Basque, dont la grande ville, Bayonne, est située au bord de la mer vers le nord. Ce pays dont la langue est barbare, est boisé, montueux, pauvre en pain, vin et aliments de toutes sortes... " [8]. Un peu plus loin : " la férocité de leurs visages et semblablement, celle de leur parler barbare, épouvantent le cœur de ceux qui les voient " [9]. Le terme " barbare ", en latin barbarus, provient du grec barbaros, qui veut dire à la fois étranger, c'est-à-dire non grec, incorrect, en parlant des fautes contre le bon usage de la langue grecque, grossier, non civilisé. Pierre Chantraine précise que barbaros désigne l'étranger en tant qu'il parle une langue étrange et comme balbutiante que l'on ne comprend pas. Il s'agit d'une formation fondée sur une onomatopée, et proche du sanskrit — barbara — " qui bredouille " [10]. Le " barbare " est donc celui qui profère des bredouillis inarticulés ou incompréhensibles. Le mot, cependant, ne s'applique pas qu'aux non-Grecs mais aussi aux Grecs qui ont un discours lent, pâteux ou incorrect : " Barbares, tous les gens à prononciation lourde et empâtée " [11]. Dans le même ordre d'idée, Aristophane l'utilise par analogie en parlant des oiseaux, dont le chant est inintelligible [12]. " Barbare " signifie enfin " cruel ". Ce sens de " cruel " que nous lui connaissons doit, il est vrai, attendre les invasions barbares de Rome pour se manifester. Pourtant, chez Euripide déjà, " barbare " indique une dimension d'infériorité incluant l'infériorité morale, le mot ne se référant plus à la nationalité étrangère, mais exclusivement au mal, à la cruauté et à la sauvagerie. Lorsque Andromaque s'adresse aux Grecs en disant " barbara Kaka " [13], l'expression peut être traduite par " des maux (supplices) inventés par des Barbares ", ou bien " des maux (supplices) sauvages ".
Les différentes acceptions du mot témoignent clairement d'un sentiment d'hostilité à l'égard des autres et de l'étranger. Ce sont ces attributs méprisants que le Guide applique aux paysans du sud-ouest de la France comme à ceux du nord de l'Espagne. Leur parler ne ressemble à rien qui puisse être tenu pour sensé ; il évoque davantage le registre de l'animalité que le langage humain : " en les écoutant parler, on croit entendre des chiens aboyer. Leur langue est en effet tout à fait barbare. Ils appellent Dieu, Urcia, la mère de Dieu, Andrea Maria, le pain, orgui, le vin, ardum, la viande, aragui... " [14]. D'ailleurs, n'est-ce pas l'imitation de cris d'oiseaux et d'animaux sauvages qui, dans certaines circonstances, sert de base au code " barbare " dont use le Navarrais ou le Basque pour communiquer ? Quant à la cruauté, on peut être sûr que la classe paysanne y excelle. Ainsi, la méchanceté redoutable du peuple Navarrais : " C'est un peuple barbare, différent de tous les peuples et par ses coutumes et par sa race, plein de méchanceté ", " expert en toutes violences, féroce et sauvage ", " cruel et querelleur " [15] ; " Pour un sou seulement, le Navarrais ou le Basque tue, s'il le peut, un Français " [16]. Ou encore, les agressions, exactions et humiliations en tout genre dont se rendent coupables bateliers de l'Adour et péagers des Pyrénées à l'encontre des pèlerins [17] : " Bien des fois aussi, après avoir reçu l'argent, les passeurs font monter une si grande troupe de pèlerins, que le bateau se retourne et que les pèlerins sont noyés ; et alors les bateliers se réjouissent méchamment après s'être emparés des dépouilles des morts " [18].
Arrêtons là ce chapitre de la " barbarie " du monde rural : il n'apporte rien d'autre que la confirmation de ce dont est plein le fond idéologique constituant l'appui du regard de l'Église sur le paysan, la méchanceté et l'abrutissement le plus total convenant aux ténèbres de son ignorance.
LUXURE DES PAYSANS
Un thème revient fréquemment dans le Guide pour disqualifier les mœurs des paysans : celui de la sexualité. Le thème de la sexualité ne saurait mieux illustrer la distance qui sépare au Moyen Âge les cultures officielles et la perception populaire. Ce domaine, à l'évidence, révèle deux manières de vivre et de penser qui sont diamétralement opposées.
Parmi les traits caractéristiques de la culture populaire du Moyen Âge, il convient de souligner l'importance accordée à la sphère de la vie pratique. La prédominance du principe de la vie matérielle et corporelle joue en effet un rôle essentiel dans la vision populaire du monde et de l'existence. Ce qui touche au registre du corps, au boire et au manger, à la satisfaction des besoins naturels, de la vie sexuelle, se trouve fortement valorisé. C'est pourquoi le corps et la vie corporelle revêtent un caractère positif, affirmatif. M. Bakhtine, en parlant de " réalisme grotesque ", a très bien défini la conception que sous-tend cette culture populaire du Moyen Âge ; selon lui, le " réalisme grotesque " rend compte des formes principales d'expression issues du peuple, et qui visent à rabaisser tout ce qui est élevé, spirituel, idéal et abstrait au plan matériel et concret, celui de la terre et du corps. Ce " rabaissement " du " haut " vers le " bas " répondant au souci de s'opposer à toute coupure des racines matérielles et corporelles du monde : " Rabaisser, cela veut dire communier avec la vie de la partie inférieure du corps, celle du ventre et des organes génitaux, par conséquent avec les actes comme l'accouplement, la conception, la grossesse, l'accouchement, l'absorption de nourriture, la satisfaction des besoins naturels " [19].
Le discours de l'Église, autour duquel se déploie la culture médiévale religieuse officielle, prône à l'inverse un rejet du corps et du monde sensible. Rien n'est plus éloigné des aspects concrets et matériels de la vie que l'idéal ascétique dont se réclame la morale chrétienne. La ligne de partage entre culture populaire et culture savante religieuse se révèle ici nettement marquée : les goûts du peuple suscitent les dégoûts de la classe cléricale. L'attirance pour le plaisir et pour la jouissance, qui opère une sorte de réduction à la corporéité, au ventre et au sexe, donc à ce qui est commun, ne peut être aux yeux de l'Église qu'objet d'horreur et de répulsion.
Aimery Picaud ne trouve pas de mots assez dégradants pour décrire le tableau des perversités dans lesquelles se vautrent les paysans. Ces hommes de la campagne, forcément, sont porteurs de tous les vices. Qu'il s'agisse des plaisirs du boire et du manger : les Gascons sont " débauchés, ivrognes […]. Ils mangent beaucoup, boivent sec " [20]. " Quand on les regarde manger, on croirait voir des chiens ou des porcs dévorer gloutonnement " [21]. Les deux animaux mentionnés introduisent une comparaison pour le moins dévalorisante, puisque le chien, dans la symbolique chrétienne, appartient au bestiaire de Satan, qu'il est un animal impur, le symbole des pécheurs qui retournent à leurs vomissements ; quant au porc, il représente un des symboles du vice, symbole de la saleté (sorditas), de la gloutonnerie, du bas matérialisme parce qu'il a le groin tourné vers la terre et ne regarde jamais le ciel [22]. Le dégoût qu'inspire le spectacle de la " luxure " paysanne est, lui, plus répulsif encore : " Dans certaines régions de leur pays, en Biscaye et Alava, quand les Navarrais se chauffent, l'homme montre à la femme et la femme à l'homme ce qu'il devrait cacher. Les Navarrais forniquent honteusement avec les bestiaux ; on raconte que le Navarrais met un cadenas à sa mule et à sa jument pour empêcher tout autre que lui-même d'en jouir. La femme comme la mule est livrée à sa débauche (libidinosa) " [23]. La même horreur s'exprime, de façon quasi obsessionnelle, à l'égard de tout ce qui, dans la vie quotidienne, implique la proximité physique des corps, proximité nécessairement " honteuse " (le mot revient plusieurs fois : turpe, honteux, ignoble, dégoûtant, infâme), dès lors que pointe le fantasme de scènes de " débauches ", et d'autant plus condamnable qu'elle s'accompagne d'une transgression des distances sociales : " Ils n'ont pas honte de coucher tous ensemble sur une mince litière de paille pourrie, les serviteurs avec le maître et la maîtresse " [24]. On songe également, concernant cette répulsion-attraction pour la sexualité, aux connotations et fantasmes sexuels que suggèrent certains mots employés dans le Guide, comme celui de mixta, mélange (voir mixta/mixtura, mélange, fusion, accouplement), pour désigner les manières populaires de traiter la nourriture : " Chez les Navarrais, toute la maisonnée, le serviteur comme le maître, la servante comme la maîtresse, tous ensemble mangent à même la marmite, les aliments qui y ont été mélangés (mixta), et cela avec leurs mains, sans se servir de cuillers et ils boivent dans le même gobelet " [25].
Les rustici sont par nature des luxurieux. Il convient donc de stigmatiser les péchés et les vices en lesquels se complaisent les paysans. Bien entendu, à travers cette condamnation, l'auteur du Guide ne fait que reprendre le discours dominant qui œuvre dans l'éthique sexuelle chrétienne. La morale chrétienne est une morale de la chasteté ; d'où sa méfiance très forte envers les plaisirs charnels, parce qu'ils retiennent l'esprit prisonnier du corps, l'empêchant de s'élever vers Dieu. Le combat incessant que l'homme doit mener contre l'esprit de fornication, le plus honteux de tous les vices, a toujours été au centre de la morale chrétienne, et cela dès les premiers penseurs de l'Église [26]. De Tertullien à Cassien, l'éthique sexuelle chrétienne repose sur la condamnation vigoureuse de la recherche du plaisir sexuel. À la fornication comme recherche du plaisir, l'Église oppose le mariage, qui est devoir de procréation. Et toute recherche du plaisir en mariage fait de l'accouplement un adultère [27]. Autrement dit, nous sommes obligés de nous unir à l'autre sexe pour faire des enfants, mais nous ne devons pas nous attacher aux plaisirs sexuels. La sexualité ne nous a été donnée que pour nous reproduire. C'est un péché que de l'utiliser à d'autres fins, et par exemple pour le plaisir.
On sait que l'un des moyens choisis par l'Église pour combattre la luxure, considérée comme le vice féminin par excellence, a été de stigmatiser ce péché capital dans les représentations de l'enfer, au tympan des portails du jugement dernier. Ainsi, " sur un chapiteau de la Porte des Comtes à Saint-Sernin de Toulouse, le Luxurieux est torturé, à côté de la Luxurieuse en proie aux serpents, sous la figure d'un homme nu livré à deux démons qui labourent avec des crocs ses organes génitaux " [28]. Ou encore, " sous le porche de Moissac où les deux Vices voisinent, la Luxure apparaît sous les traits d'une mégère dont les seins et le sexe sont dévorés par des serpents et des crapauds : elle est ainsi punie par où elle a péché " [29].
Pour sa part, Aimery Picaud, qui perçoit probablement la femme comme l'incarnation du diable et du péché [30], dans la description qu'il consacre vers la fin de l'ouvrage à la Porte des Orfèvres — de las Platerias — de Saint-Jacques de Compostelle, n'omet pas de mentionner la femme qui se trouve à côté de la tentation du christ : " elle tient entre ses mains la tête immonde de son séducteur qui fut tranchée par son propre mari et que deux fois par jour sur l'ordre de celui-ci, elle doit embrasser. Ô quel terrible et admirable châtiment de la femme adultère, qu'il faut raconter à tous ! " [31].
Lorsqu'il écrit ces lignes, notre clerc Poitevin songe surtout aux femmes et hommes de la campagne rencontrés au cours de son voyage ; à ces paysans dont les mœurs dépravées, parce qu'elles dépassent en horreur ce qu'il est possible d'imaginer, appellent châtiment et excommunication. Mais que devait penser ce clerc, en voyant, non loin des portails des petites églises rurales du sud-ouest de la France, sur les modillons accrochés en haut des corniches, ces obscena saisir dans la pierre les figures multiples du génital, de l'anal, du scatologique, empruntées au monde profane des campagnes ! L'auteur du Guide n'en dit mot. Sans doute n'y lisait-il que des images condamnant les péchés, là où s'exhibe pourtant le témoignage original et vivant d'une culture laïque populaire [32].
BLANC/NOIR
Le monde rural est donc synonyme de licence. L'image négative du paysan considéré comme " vicieux " trouve son prolongement à travers un autre caractère, tant physique que moral, qui complète ce portrait idéologique dressé par le Guide. Il s'agit de la noirceur attribuée aux paysans. L'opposition chromatique blanc-noir intervient plusieurs fois dans le texte. La couleur noire désigne un trait spécifique de l'identité corporelle des paysans basques et navarrais. Les premiers, plutôt sombres de peau, ont cependant " le visage plus blanc (facie candidiores) que les Navarrais " [33]. Ceux-là, dont il est dit qu'ils " portent des vêtements noirs (nigris) et courts qui s'arrêtent au genou […], des manteaux de couleur sombre (atris) ", sont perçus comme un peuple " noir de couleur (colore atra), laid de visage " [34].
Dans le vocabulaire latin, candidus, blanc, s'oppose à ater, noir. Les valeurs attachées au mot candidus expriment une connotation positive : la " blancheur " du visage ou du corps se confond avec la " beauté ". Ater et Niger, à l'inverse, connotent négativement. Le " noir " égale le " sombre ", et suggère l'idée de " laideur ". Candidus, dont le sème habituel comporte l'idée de " lumineux ", indique une qualité et se traduit, selon le contexte, par " brillant ", " étincelant ", " beau ", " pur ". Au figuré, ce mot a le sens de " favorable ", " heureux " ; on l'emploie aussi pour parler de quelqu'un qui est " franc ", " loyal ". Ater, dont le sème est celui de " non brillant ", " mat ", se dote au contraire de valeurs connotatives négatives pour prendre le sens de " funèbre ", " cruel ", en parlant de la mort ou de jours malheureux. De même, niger, lié à ce qui est " funeste ", sert à qualifier une personne " perfide ", " à l'âme noire ". D'une façon générale, le contraste blanc/noir symbolise le couple antithétique absolution/condamnation, il connote l'opposition vrai/faux. Candidus renvoyant au domaine de l'innocence, ater et niger à celui de la culpabilité.
La symbolique chrétienne des couleurs associe au blanc et au noir à peu près les mêmes effets bénéfiques et maléfiques. Le blanc symbolise la lumière, l'éternité. Dans l'Église, c'est la couleur des vêtements du pape, de l'aube des prêtres. Le blanc étant l'emblème de la pureté, de la virginité, est aussi la livrée symbolique des premières communiantes, des jeunes mariées, des catéchumènes. Le noir est la couleur de l'esprit du mal, du désespoir, du deuil.
Puisque le christianisme assimile la couleur noire au péché, à la culpabilité, au mal, il convient en bonne logique chrétienne de noircir les paysans, pour faire ressortir leur laideur physique et morale. Au demeurant, rien n'est plus facile — et l'Église ne s'en prive pas — que de glisser conceptuellement de la négativité de cette couleur (noirceur de la vilenie et des ténèbres, du péché et du vice, du diable et de la trahison...) au rejet de la noirceur du corps et du corps " noir " du paysan et à la définition de son âme. À elle, avec cette couleur, la stupidité et la malignité. C'est net : l'âme du vilain a la noirceur des ténèbres et de tous les vices.
Comment pourrait-il en être autrement dans cet univers " en noir et blanc ", où la blancheur fixe la norme du beau, du bien, et où ce qui menace, " l'autre " perçu comme rebelle au message divin, est représenté sous une forme noire ? Ce qui menace, en effet, a pour nom hérésie et paganisme, les deux termes, qui se trouvent confondus déjà chez Augustin, désignant des pratiques et mentalités propres au monde des campagnes. Certes, l'Église, à partir du haut Moyen Âge, s'est employée à évangéliser ces " sauvages de l'intérieur ". Mais des zones importantes d'" hérésie ", de " paganisme " et de " démonolâtrie " se sont maintenues. En particulier, dans le sud-ouest de la France, comme en témoigne l'axiologie de la méchanceté et de la culpabilité stigmatisées par le Guide sur ces régions rurales de Gascogne et du Pays basque, asservies à la puissance des ténèbres.
De l'autre côté des Pyrénées, l'image du paysan noircit davantage : les paysans navarrais, traités d'" impies ", ont le corps et l'âme plus noirs que les Basques, lesquels ne sont pas tout à fait dépourvus de blancheur (facie candidiores), ethnocentrisme blanco-chrétien français oblige. Si la noirceur s'intensifie en Navarre, c'est aussi parce que ce royaume est en contact avec l'un des pires ennemis de chrétienté médiévale : l'infidèle sarrasin qui occupe encore la péninsule ibérique. Le Guide mentionne d'ailleurs au passage que le peuple navarrais " est semblable aux Gètes et aux Sarrasins par sa malice et de toute façon ennemie de notre peuple de France " [35]. Aucun doute : la noirceur au-dehors et au-dedans des paysans navarrais n'a d'égale que celle des Sarrasins. Car le noir est la couleur sous laquelle figurent les musulmans. Par un choix délibéré, l'imaginaire médiéval attribue au Sarrasin cette couleur maléfique : " Alors que les représentations du Sarrasin ne privilégiaient pas jusque-là aucune couleur, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l'utilisation de la couleur noire devient prépondérante. À Estella déjà, dans la première moitié du XIIe siècle, le géant Ferragut manifestait quelques aspects de la négritude. À Cressac, dans le pays charentais, quelques Sarrasins étaient également dépeints comme des personnages à la peau brune " [36]. Noir, donc laid, et de surcroît, comme le paysan, ennemi de l'Église, parce que " païen ". L'islam est synonyme de laideur : lorsqu'on le représente, le Sarrasin se tord de douleur, il grimace, ses traits sont grossiers, ses cheveux hirsutes, ses lèvres épaisses. À Clermont-Ferrand, comme à Chartres, sur le vitrail de la cathédrale, les combattants sarrasins ont le nez aquilin, l'œil obscur. Quant à l'assimilation de l'islam au paganisme, écrivains ecclésiastiques et chroniqueurs n'hésitent pas, contre toute raison, à attribuer aux musulmans le comportement idolâtre des païens de l'antiquité. De toute façon, le critère d'exactitude ne joue aucun rôle. Il est vain d'engager un débat pour savoir si ces images " noires " de l'autre (la paysannerie, l'islam) correspondent ou pas à la réalité. Comme l'écrit, entre 1104 et 1108, Guibert de Nogent, fustigeant la religion adverse, " on peut en toute quiétude parler mal de celui dont la malignité a toujours été au-dessus de tout le mal qu'on pourrait en dire " [37].
C'est le même regard malveillant, d'orientation ethnocentriste et xénophobe, que porte Aimery Picaud sur le peuple navarrais. Ses affirmations relèvent du fantasme, et participent d'une approche racialisante de l'autre [38]. À tel point que ce discours, combinant racisme de classe et racisme culturel, obsédé par le thème de la pureté blanco-chrétienne, conduit à des interprétations délirantes : si l'on en croit le Guide, l'impureté ontologique des paysans navarrais serait ni plus ni moins attestée par l'origine de leur nom : Navarrais (Navarrus), c'est-à-dire " non vrai " (non verus), puisque, ajoute tout aussi tranquillement l'auteur, " ils ne sont pas issus d'une race pure ou d'une souche légitime " [39].
DU COMMENTAIRE DE NOS CONTEMPORAINS
Le tableau d'ensemble que nous offre Aimery Picaud accumule donc une série de poncifs et de préjugés aussi grotesques qu'humiliants. On discerne bien, dans l'intolérable obscénité de tous et chacun de ses traits caricaturaux, que ces divagations sans fondement ont pour intention manifeste de déconsidérer la classe paysanne. Il en résulte une défiguration totale du monde rural dans ce qu'il a de plus caractéristique : la cohérence et la complexité de pratiques et représentations inhérentes à une culture populaire. L'image très négative du paysan n'est certes pas particulière aux écrivains ecclésiastiques du XIIe siècle. L'auteur du Guide reprend à son compte des accusations que l'on trouve déjà dans la littérature du haut Moyen Âge. Comme l'a montré Jacques Le Goff, le paysan du haut Moyen Âge semble prédestiné à certains péchés. Il est dépeint sous des traits péjoratifs qui l'affublent de vices et de défauts : " ignorant, illettré, personnifiant, face à l'élite cléricale instruite, la masse dépourvue de toute culture […]. Vicieux, dangereux, plus près de la bête que de l'homme […] il est, d'un seul mot, un rural et un rustre " [40].
Cette vision de la paysannerie s'est-elle, par la suite, au cours de l'époque moderne et contemporaine, sensiblement modifiée ? On peut en douter. Une preuve, particulièrement accablante pour notre siècle, nous est fournie de manière indirecte par les commentaires que certains érudits contemporains ont pu faire du Guide. Et leur lecture en dit long quant aux jugements qu'elle induit sur la classe paysanne.
Les historiens de l'art du Moyen Âge consacrent à ce sujet quelques lignes éclairantes. Émile Mâle ne paraît guère troublé par les affirmations d'Aimery Picaud. L'auteur de L'art religieux du XIIe siècle en France a recours au même cliché, n'hésitant pas à parler lui aussi du langage " sauvage " des paysans basques : " C'étaient les Basques, le plus inhospitalier des peuples et le plus redoutable aux voyageurs. Ils parlaient un langage incompréhensible : ils appelaient le vin ardum, le pain orgui, l'eau uric, et le Guide, ici, donne quelques mots de cette langue sauvage " [41]. Dans un ouvrage publié en 1987, Jean Cabanot se demande, sans mettre en cause la véracité d'un tel portrait, si " le caractère des hommes du sud de la Garonne, de ces "Gascons" que l'auteur du Guide de Saint-Jacques de Compostelle juge "légers en parole, bavards, moqueurs, avides d'aventures, de vin et de bonne chère, mal vêtus et besogneux", ne tient pas aux "particularités de leurs origines et de leur passé" ". Il conclut : " On peut en tout cas affirmer que bien des traits de ce portrait, souvent confirmés par la suite, correspondent au comportement turbulent et désordonné des Gascons à diverses périodes de leur histoire " [42]. La traduction de l'abbé Jean Cabanot, notons-le, s'est efforcée d'expurger toute la violence qu'exprime le vocabulaire d'Aimery Picaud : les paysans gascons ne sont pas " débauchés (libidinosi), ivrognes (ebriosi), goulus (cibis prodigi), mal vêtus de haillons et dépourvus d'argent (male induti pannis et gazis) ", mais " avides d'aventures, de vin et de bonne chère, mal vêtus et besogneux ". Sans doute fallait-il cette " élégance " de traduction pour ne pas trop heurter la sensibilité du lecteur et ainsi rendre vraisemblable et plus acceptable ce jugement énoncé par le Guide sur les Gascons. Marcel Durliat, quant à lui, adopte, il est vrai, une position critique ; son interrogation, cependant, sous-entend bien des restrictions : " Si le pèlerinage a le mérite de mettre en contact des peuples qui jusqu'alors s'ignoraient, il est impuissant à abattre le mur des préjugés. On aimerait connaître le jugement que les peuples d'Espagne, quant à eux, portaient sur les Français " [43].
Avec les historiens, le ton frise carrément l'indécence. Quatre exemples choisis au hasard, ou presque, mais qui me semblent significatifs. Pourquoi ne pas invoquer le présent pour justifier le discours du clerc Poitevin ! : " Récit naïf mais qui résume une longue expérience et témoigne d'une véracité notable sur tous les points susceptibles actuellement d'être vérifiés " [44]. C'est clair : l'attrait de ce texte repose sur le " pittoresque " et la " drôlerie " de ses descriptions : " Aimery Picaud, auquel il est toujours pittoresque de se reporter, nous a tracé des Gascons du XIIe siècle un portrait qui fait drôlement pendant à celui des Basques " [45]. Puisque les paysans sont des sauvages, rendons grâce aux bienfaits que l'œuvre civilisatrice des pèlerins a pu leur apporter : " Certes, les Eskualdun — Aimery Picaud nous l'a appris — sont demeurés d'assez gens rudes, […] mais n'est-ce pas une raison de plus, tout en essayant de protéger les pèlerins contre leurs exactions, pour tenter de les civiliser en leur faisant connaître les moyens de tirer un meilleur parti de leur pays sauvage ? " [46] D'aucuns répètent à l'envi combien ils ont été sensibles au " pittoresque " des observations et imprécations qui émaillent cette partie du Guide ; elle est, écrit Raymond Oursel, l'une des plus captivantes du livre [47]. Le même précise qu'en dépit de certaines exagérations (" Peut-être les fatigues de la route inclinent-elles à pousser au noir le tableau " [48] !), Aimery Picaud montre à quels déboires devaient s'exposer les pèlerins pour affronter des populations rurales aussi peu accueillantes. Un spécialiste de l'histoire du pèlerinage au Moyen Âge, qui relève pourtant dans le Guide des affirmations sans nuances, est plus catégorique encore : " Le profil de la route est désormais posé. Non pas stéréotype poncif, mais comme l'annonçait Aimery Picaud, vérité du chemin pèlerin […]. D'autant que les hommes s'en mêlent […], toute une humanité hostile qui exploite sans merci les capacités de défense amoindries de corps épuisés par la route " [49]. On retiendra enfin que ce récit révèle tout simplement une tentative d'approche ethnique : " Aimery Picaud, malgré toute sa partialité, est cependant l'un des premiers voyageurs occidentaux à s'essayer à une sorte d'étude ethnique " [50].
On pourrait continuer. Cela ne ferait qu'ajouter à l'incongruité de pareils jugements. Une chose est sûre : le discours méprisant tenu par Aimery Picaud, fondé sur la méconnaissance du monde paysan, ne contient en rien cette " saveur " que lui accordent bon nombre de commentateurs [51]. Il manque à ce discours le goût qui émane du savoir ou de l'intelligence, laquelle suppose une attitude de sympathie. Car sympathie, ce mot si beau qui veut dire " sentir avec ", et intelligence sont ou devraient être solidaires. Qui ne ressent pas profondément ne comprend pas.
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Notes
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[1] Sur la littérature de guides ou de pèlerinages au Moyen Âge, voir entre autres : Voyage, quête, pèlerinage dans la littérature et la civilisation médiévales, Senefiance, n° 2, Aix-en-Provence/Paris, Librairie Champion, 1976.
[2] Une lettre qui figure à la fin du cinquième livre et qui se présente comme l'œuvre du pape Innocent II indique que le Liber Calixtinus aurait été donné à l'église de Compostelle par le poitevin Aimery Picaud de Partenay-le-Vieux. On a donc supposé, bien que la thèse de l'origine clunisienne du livre ait d'abord été soutenue au début du siècle par Joseph Bédier, reprise ensuite par Émile Mâle et Henri Focillon, qu'Aimery Picaud serait l'auteur ou l'un des auteurs du Guide du pèlerin. Voir : Joseph BÉdier, Les légendes épiques, recherches sur la formation des chansons de geste, Paris, Honoré Champion, 1908-1912 ; Émile MÂle, L'art religieux au XIIe siècle en France, étude sur les origines de l'iconographie du Moyen Âge, Paris, Librairie Armand Colin, 1922, pp. 291-292 ; Henri Focillon, Art d'Occident, Le Moyen Âge roman, Le Moyen Âge gothique, Paris, LGF, 1988 (1938), p. 131, note 2.
[3] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, édité et traduit en français d'après les manuscrits de Compostelle et de Ripoll, Paris, Jules Vrin, 1984 (1938), pp. 17-19.
[4] Charles Higounet, " Le renouveau médiéval ", dans Charles Higounet [dir.], Histoire de l'Aquitaine, Toulouse, Privat, 1971, volume 1, p. 155.
[5] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 23.
[6] Jacques Le Goff, " Le Désert-Forêt dans l'Occident médiéval ", dans Traverses, n° 19, 1980, p. 33.
[7] Voir : Jacques Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1967 (1964), p. 170.
[8] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 21.
[9] Idem, p. 23.
[10] Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, p. 165.
[11] Strabon, XIX, 648, cité par : Marie-Françoise Baslez, L'étranger dans la Grèce antique, Collection Realia, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 185.
[12] ARISTOPHANE, Les oiseaux, 199.
[13] EURIPIDE, Les Troyennes, 764-765.
[14] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 29.
[15] Ibidem.
[16] Ibidem.
[17] Si des incidents surviennent, ils se produisent le plus souvent au sein de la population locale ; car le pèlerinage est aussi un phénomène " touristique ", avec tout ce que cela implique comme perturbations dans la vie sociale : " Pour [la population locale], se trouver sur l'itinéraire des pèlerins constituait une bonne affaire. Une affaire tellement bonne qu'on voit les habitants de localités voisines en venir aux mains pour obtenir le passage des pèlerins " ; Antoine LebÈgue, " Aquitaine ", dans Histoire des Provinces de France, préface de Pierre Miquel, Paris, Nathan, 1983, volume 5, Poitou-Charentes, Aquitaine, Béarn, Pays Basque, p. 243.
[18] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 21.
[19] Mikhaïl Bakhtine, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen Âge et sous la Renaissance, collection Tel, Paris, Gallimard, 1970, p. 30.
[20] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 20-21.
[21] Idem, p. 29.
[22] La description des paysans en termes d'animalité est en outre une façon de justifier comme naturel leur asservissement et de considérer que les paysans sont faits pour un tel traitement. Voir : Paul Freedman, " Sainteté et sauvagerie. Deux images du paysan au Moyen Âge ", dans Annales, économies, sociétés, civilisations, n° 3, 1992, pp. 550-551.
[23] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 29.
[24] Idem, p. 21.
[25] Idem, p. 29.
[26] Voir : Michel Foucault, " Le combat de la chasteté ", dans Communications, n° 35, 1982, pp. 15-25.
[27] Sur ce point, la remarque de Jean-Louis Flandrin : " Pendant dix-huit siècles, l'Église a refusé d'admettre l'amour humain autrement qu'émasculé et métamorphosé en charité : comme tel, il n'avait rien à voir avec l'attrait sexuel […]. Rendre le dû à sa partie et vouloir procréer sont les deux seuls motifs valables de l'accouplement. On y ajoute tardivement le souci "d'éviter l'incontinence" et, en dehors de ces trois raisons, il ne peut y avoir que recherche du plaisir, c'est-à-dire adultère " (Jean-Louis FLANDRIN, Le sexe et l'Occident, collection Points, Paris, Éditions du Seuil, 1981, pp. 105-106.
[28] Louis RÉau, Iconographie de l'art chrétien, Paris, Librairie Armand Colin, 1955, tome 1, p. 166.
[29] Idem, p. 166.
[30] Souvenons-nous la scène à laquelle fait allusion le Guide : " Quand les Navarrais se chauffent, l'homme montre à la femme et la femme à l'homme ce qu'il devrait cacher ". Le discours médiéval tenu par les hommes de religion et d'Église sur les femmes traduit parfaitement les préjugés qui aveuglent cette parole masculine. Il révèle les fantasmes et images stéréotypées que se fait d'elles une caste d'hommes à qui leur statut impose célibat et chasteté : des hommes " d'autant plus âpres à en stigmatiser les vices et les imperfections qu'elles leur restent inaccessibles dans la vie quotidienne; et forçant d'autant plus le trait que les héritages de leur imaginaire sont largement livresques " (Christiane Klapisch-Zuber, " Introduction ", dans Georges Duby et Michelle Perrot [dir.], Histoire des femmes, Paris, Plon, 1991, volume 2, Le Moyen Âge, p. 19).
[31] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 103.
[32] Constatons que les historiens de l'art, eux aussi, restent muets sur cette question. Peu d'études ont été consacrées à l'iconographie profane des églises rurales du XIIe siècle. Ce silence résulte avant tout d'un parti pris idéologique. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire les commentaires succincts que les érudits des XIXe et début XXe siècles nous ont laissé en la matière. Ainsi, Léo Drouyn, étudiant les églises romanes de la Gironde, décrit dans une note 29 modillons de l'église de Lugaignac ; le septième y est censuré, " 7e Obscenum virile qu'on doit renoncer à décrire et à dessiner " ; de même parmi les 16 modillons de l'abside de l'église de Courpiac, il est " un couple qu'il faut renoncer à décrire " ; Léo Drouyn, Variétés girondines, Bordeaux, Feret et fils, 1878, tome 1, p. 432. Le commentaire d'un autre spécialiste de l'art roman en Gironde, Jean-Auguste Brutails, se résume à une critique morale : " Ils sont trop nombreux les modillons de nos églises du XIIe siècle pareils à cette sculpture polissonne dont il est parlé dans L'Orme du Mail, que les érudits locaux montrent aux étrangers lorsque les dames regardent ailleurs " ; Jean-Auguste Brutails, Les vieilles églises de la Gironde, Bordeaux, Feret et fils, 1912, p. 229. Parmi les rares érudits à s'être passionnés pour ce sujet, mentionnons l'abbé Auber, Histoire et théorie du symbolisme religieux avant et depuis le christianisme, Paris, 1871 ; Gustave-Jean Witkowski, L'art profane en France, Paris, Schemit, 1908, 2 volumes ; Gustave-Jean Witkowski, L'art Chrétien, ses licences, Paris, 1912. Le premier dût subir les railleries de certains de ses confrères en iconographie religieuse. Gustave-Jean Witkowski, quant à lui, admet que les modillons représentent une personnification des péchés, mais soutient que cet art relève aussi de l'esprit satirique de " sel gaulois ", et que ces facéties figuratives répondent exactement à la partie comique des mystères. Plusieurs études parues au cours des quinze dernières années envisagent les modillons comme un élément autonome de la sculpture romane exprimant par leur iconographie et leur style des concepts profanes ; voir : Claude Gaignebet et Jean-Dominique Lajoux, Art profane et religion populaire au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 1985 ; Nurith Kenaan-Kadar, " Les modillons de Saintonge et du Poitou comme manifestation de la culture populaire ", dans Cahiers de civilisation médiévale, n° 24, 1986, pp. 311-330 ; Christian Bougoux, Petite grammaire de l'obscène. Églises du duché d'Aquitaine : XIe-XIIe siècle, collection Archipel roman, Bordeaux, Bellus, 1992. On consultera aussi avec profit l'étude remarquable de : Michael Camille, Images dans les marges. Aux limites de l'art médiéval, traduit de l'anglais par Béatrice et Jean-Claude Bonne, collection Le temps des images, Paris, Gallimard, 1997.
[33] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 27.
[34] Idem, p. 29.
[35] Ibidem.
[36] Philippe SÉnac, L'image de l'autre. Histoire de l'Occident médiéval face à l'Islam. Paris, Flammarion, 1983, pp. 71-72.
[37] Guibert de Nogent, Gesta Dei per Francos, Lib. I, 3, cité par : Jean Flori, La première croisade. L'occident chrétien contre l'Islam, Bruxelles, Complexe, 1992, p. 216.
[38] Les propos de nature raciste contenus dans le Guide apparaissent également dans le Pseudo-Turpin contre les Sarrasins, chronique rédigée sans doute par le même Aimery Picaud. Voir : Emmanuel Filhol, " L'image des Sarrasins dans les textes chrétiens (de la Chanson de Roland à la Chronique du Pseudo-Turpin) ", dans L'Occident musulman et L'Occident chrétien au Moyen Âge, Actes du colloque international de Rabat, 2, 3 et 4 novembre 1994, Université Mohammed V, Rabat, Publications de la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, 1995, série : Colloques, n° 48, p. 223-239.
[39] Jeanne Vielliard, Le Guide du pèlerin…, ouv. cité, p. 33.
[40] Jacques Le Goff, " Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Âge (Ve-VIe siècle) ", dans Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen Âge : temps, travail et culture en Occident, Paris, Gallimard, 1977, (1966), pp. 143-144.
[41] Émile MÂle, L'art religieux…, ouv. cité, p. 290.
[42] Jean Cabanot, Les débuts de la sculpture romane dans le sud-ouest de la France, Paris, Picard, 1987, p. 22.
[43] Marcel Durliat, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques, Mont-de-Marsan, Comité d'études sur l'histoire de l'art de la Gascogne, 1990, pp. 35-36.
[44] Philippe Veyrin, Les Basques, Paris, Arthaud, 1975, (1942), p. 63.
[45] Idem, p. 68.
[46] Idem, p. 109.
[47] Raymond Oursel, Pèlerins du Moyen Âge, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1978, p. 132.
[48] Souligné par nous.
[49] Alphonse Dupront, " Puissances du pèlerinage : perspectives anthropologiques ", dans Alphonse Dupront, La quête du sacré. Saint-Jacques, Paris, Brepols, 1985, p. 205 ; souligné par nous.
[50] Béatrice Leroy, La Navarre au Moyen Âge, Paris, Albin Michel, 1984, p. 65.
[51] En particulier : Yves Bottineau, Les chemins de Saint-Jacques, Paris, Arthaud, 1964, p. 112.
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