1365, Jean IV ou l'art du double jeu
Tiré de Ouest-France, ?? Août 2003
Avec la fin de la guerre de succession au duché de Bretagne, une nouvelle dynastie voit le jour en 1365. Tout en s'efforçant de faire croire aux Bretons qu'il est attaché à leur indépendance, Jean IV jure fidélité au roi de France.
Jean IV
Après plus de 20 ans de guerre civile entre les prétendants au trône laissé vacant à la mort de Jean III le Bon, à force de ferrailler et de débourser, la noblesse bretonne est quasiment ruinée. Au-delà du revers subi par les partisans de Charles de Blois, tué lors de la bataille finale d'Auray, c'est l'aristocratie dans son ensemble qui en paye les conséquences. La puissance politique qu'elle incarne est à genoux. Une seule solution s'impose désormais aux uns et aux autres pour retrouver une certaine autorité : oublier ses propres revendications, ses ressentiments, faire allégeance au jeune duc nouvellement intronisé. Ainsi la concorde pourra-t-elle enfin être rétablie.
De guerre lasse, c'est d'ailleurs précisément ce que réclame en premier lieu le peuple breton en cette année 1365. La paix donc, mais tout de même pas à n'importe quel prix ! Et surtout pas au prix de l'indépendance du duché. Les Bretons revendiquent avec force en haut lieu leur identité et rejettent toute autre nationalité qu'elle soit française ou anglaise.
Une politique en trompe-l'oeil
Le nouveau duc de Bretagne, qui n'est autre que le fils de l'ancien chef du parti vainqueur à Auray, ne méconnaît pas cette exigence. Comment, au demeurant, Jean IV pourrait-il l'ignorer ? La veille même du traité mettant fin à la Guerre de Succession et signé à Guérande le dimanche de Pâques de cette année-là, par lui-même et le roi de France Charles V, en grand nombre les Bretons avaient processionné, toutes classes sociales confondues pour implorer le Ciel de leur accorder la paix des armes et des coeurs. Cependant, le problème pour le jeune prince n'est pas simple. Il ne s'agit rien moins que de concilier des intérêts à l'évidence contradictoires. C'est-à-dire défendre la souveraineté bretonne et les prérogatives qui lui sont attachées, sans s'opposer ouvertement aux royaumes voisins, la France et l'Angleterre, eux-mêmes en lutte avec des prétentions territoriales communes. Comment résoudre ce dilemme ? La duplicité est dans la nature même de Jean IV. II va en user sans vergogne par une politique en trompe-l'oeil.
A Londres, le roi Édouard III, envers qui Jean IV est redevable de l'aide financière importante apportée à son père durant la Guerre de Succession, sait qu'il peut compter sur lui. Reconnaissance oblige.
En revanche, le roi Charles V nourrit des doutes à l'égard des objectifs réels de ce prince louvoyant élevé à la cour d'Angleterre, en dépit de ses protestations répétées de fidélité à la Couronne de France.
Pointe Saint Mathieu où les anglais débarquèrent
Une caisse de poissons !
Dans un souci d'apaisement, cependant, Charles V se veut conciliant. Pour preuve que, sitôt son accession au trône le nouveau duc de Bretagne se voit dispensé de servir personnellement dans l'armée française afin de pouvoir veiller de plus près aux intérêts de son peuple. En guise de remerciements, Jean IV lui promet... une caisse de poissons en provenance de Nantes.
Il n'empêche que son regard se porte de plus en plus de l'autre côté de la Manche d'où lui parviennent des messages d'amitié. Ainsi est-il amené, à Londres en 1372, à signer un traité d'alliance engageant le roi d'Angleterre à lui prêter main forte en cas de besoin.
Du côté français on crie naturellement à la trahison. A juste raison, car à peine l'encre de l'accord est-elle sèche que la flotte anglaise débarque sur les côtes armoricaines. Du coup, le roi Charles V se fâche pour de bon. Il charge Bertrand Du Guesclin de s'emparer du duché de Bretagne.
L'exil en Angleterre
A la tête d'une armée de 14.000 hommes, le connétable marche droit sur Rennes, Fougères, Dinan, Saint-Brieuc, Morlaix, Quimper, Vannes, Josselin... Rien ni personne ne l'arrêtent. Plus qu'une expédition victorieuse c'est une marche triomphale.
Honteuse, l'armée anglaise a rembarqué depuis longtemps quand elle touche à son terme. En disgrâce, Jean IV se voit interdire l'accès de ses châteaux par ses propres sujets. Ne lui reste donc qu'à se réfugier chez son ami le roi d'Angleterre. L'exil va durer six ans.
En lieu et place du prince déchu, Charles V nomme son frère, le duc d'Anjou. Cependant, Jean IV n'a pas dit son dernier mot et, dans l'ombre, Édouard III prépare sa revanche avec l'appui du comte de Cambridge, chef militaire du royaume.
Voilà donc les troupes anglaises qui, en 1375, retraversent la Manche et, avec elles, le duc exilé. Les circonstances, cette fois, s'y prêtent. Le vent, effectivement, a tourné depuis son départ.
Chateau de Nantes où mourut Jean IV
Mort empoisonné ?
Mécontents du rapprochement opéré par le duc d'Anjou avec la France, à Dinard les Bretons accueillent en héros son frère Jean. En conséquence de quoi Charles V, bon gré mal gré, se trouve dans l'obligation de composer de nouveau avec lui. Le double jeu reprend dès lors à l'avantage du seigneur retrouvé qui, sous le serment de loyauté à son égard, obtient du roi de France l'engagement formel de maintenir les droits de la Bretagne et de son peuple. Tout est bien. Sauf que les Anglais occupent toujours Brest et que, leur roi décédé, son successeur, Richard III, ne veut rien entendre des accords passés. Et c'est à nouveau la guerre.
Très malade, Jean IV ne s'en remettra pas. Il meurt le 2 novembre 1399 dans son château de Nantes. Le bruit court qu'il a été empoisonné. Soupçonnés du crime, deux prêtres seront finalement relâchés. Sans descendance après ses deux premiers mariages, de sa troisième femme, Jeanne de Navarre, le duc avait eu huit enfants.
Claude Péridy
Retour