Jacques Coeur

L'irrésistible ascension de Jacques Coeur

par Charles-Maurice Chenu

Blason de Jacques Coeur
Blason de Jacques Coeur

Tiré de Historama N°304, mars 1977

Jacques Coeur naît vers 1395 d'un père marchand pelletier, établi à Bourges depuis la fin du XIVe siècle. De son enfance l'on connaît peu de choses si ne c'est qu'il était déjà certainement plus intéressé par le commerce que par les études. A vingt ans il se marie conformément au goût de ses parents à la fille du prévôt de Bourges. Alors que disparaît Jeanne d'Arc en 1431, Jacques Coeur rêve de voyages et d'un commerce international qui rendrait sa richesse au pays dévasté par la Guerre de Cent Ans.
Charles-Maurice Chenu auteur d'un Jacques Coeur paru aux Editions Hachette retrace dans cet article ce que fut l'irrésistible ascension de Jacques Cour.
Dès 1432 il s'était lancé dans le commerce avec les pays du Levant. Ayant établi son quartier général à Montpellier, il se rendit fréquemment en Syrie et noua des relations avec les ports italiens et espagnols. Il menait de front de multiples opérations: importation d'épices, commerce des draps et des métaux précieux banque change, etc. qui nécessitaient l'établissement d'agents dans les grandes villes à Bruges, Paris Lyon Rouen Avignon. Maître des monnaies en 1436, Charles VII, trois ans plus tard conseillé par la belle Agnès Sorel en faisait son argentier.
Argentier du roi: c'est le premier échelon. Que le titre ne nous éblouisse pas. Arrêtons-nous un instant pour en préciser les attributions; car le mot, depuis des siècles, a prêté à confusion. C'est une erreur trop répandue que de voir dans l'argentier un ministre des Finances. Le rôle de l'argentier est beaucoup plus modeste: il est simplement l'intendant du palais, qu'il approvisionne de tout, de l'alimentation jusqu'à l'habillement. Il est acheteur, transporteur, marchand, banquier: un majordome, un factotum. Jamais Jacques Coeur n'a été ministre des Finances ni surintendant. Jamais il n'a eu le maniement des finances publiques. La prévention dont il est victime dans l'esprit de certains vient le plus souvent de cette confusion. La gestion suprême des finances publiques crée tant de tentations et tant d'occasions que nous tenons volontiers pour suspect, aujourd'hui, avec ou sans preuves, tel ou tel ministre des Finances, du seul fait de ses fonctions.
Ces occasions, ces tentations, Jacques Coeur ne les a jamais eues. A l'époque, il n'y a d'ailleurs pas de ministère des Finances; le rôle est rempli par le roi lui-même « en son conseil ».
Ce conseil accompagne le roi dans ses déplacements, et se réunit presque quotidiennement. Il compte une vingtaine de conseillers en titre et en groupe effectivement toujours dix ou douze. C'est dire que les finances du royaume, bien ou mal, sont gérées par un comité à ciel ouvert, ce qui ne permettrait aucune concussion personnelle.
Que les détracteurs de Jacques Coeur, ceux qui se contentent pour le condamner de dire qu'une telle fortune ne peut pas être honnête cessent en tout cas de fonder leurs soupçons sur une pareille confusion d'emplois.
Nous chercherons l'explication de sa réussite. Nous verrons que si ses fonctions publiques ont certainement donné des facilités à son négoce, c'est ce négoce qui constitue la source essentielle de ses revenus. C'est ce négoce, créé par lui de toutes pièces, qui le passionne, qui fait sa fierté, qui l'enrichit; auprès de ses bénéfices commerciaux, les pots de vin qu'on lui a reprochés, ne sont qu'une poussière.


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Jacques Coeur et Macée de Leodepard sa femme.
Fils d'un marchand-pelletier de Bourges, Jacques Coeur va accomplir une carrière exceptionnelle.
Argentier du roi anobli en 1441, il sera en fait le ministre des Finances de Charles VII.
Ses armoiries: trois cours et trois coquilles; sa devise: « à vaillant coeur, rien d'impossible».
Devenu immensément riche il prête de l'argent au roi, une cabale se forme contre lui.
On l'arrête, on 1'emprisonne on confisque ses biens, il s'évade et va mourir en Italie.
11 fut réhabilité par Louis XI qui restitua à sa famille une partie de ses biens.


Trois coeurs et trois coquilles pour les armoiries du grand argentier


Avec le titre d'argentier, l'ascension de Jacques Coeur ne fait que commencer. Dès l'année suivante, c'est l'anoblissement: sur ses armoiries figureront trois coquilles, emblème de saint Jacques, et trois coeurs. C'est à ce moment qu'il fait connaître sa devise: A vaillants coeurs, rien d'impossible.
Jacques Coeur est ensuite nommé commissaire aux états du Languedoc. Enfin il entre au grand conseil, ou conseil privé du roi. Ce conseil est en grande partie composé de bourgeois. Ce n'est pas par hasard. Charles VII dans sa première jeunesse a vu de trop près les grands seigneurs, leurs luttes égoïstes et sanglantes autour du pouvoir. Comme son sage grand-père, Charles V, il aime mieux s'entourer de marmousets; il préfère la valeur à la couleur du sang.
Jacques Coeur n'en est pas moins fier de son titre languedocien. C'est un hommage à son activité montpelliéraine, et c'est une occasion de lui donner plus d'extension encore. On le trouve en Languedoc autant qu'en Berry, quand il n'est pas à chevaucher ailleurs. Pendant dix ans, il sera le dieu de Montpellier.
Ces obstacles que rencontre le commerce avec les infidèles, qui pourrait les lever mieux que lui? Il n'est pas seulement l'homme du roi; il est l'homme du pape. Il assure même entre les deux puissances une utile liaison: en 1441, Charles VII obtient du pape Eugène IV la nomination de Nicolas Coeur, frère de Jacques, à l'évêché de Luçon. C'est la première fois que nous voyons jouer l'amitié que l'argentier rencontre à Rome et dans les milieux ecclésiastiques, amitié précieuse dont nous verrons bien d'autres manifestations, et qui ne se démentira jamais, ni d'un côté ni de l'autre.
Il sera donc facile à Jacques Coeur d'obtenir pour la circulation de ses marchandises - et pour Montpellier - toutes les dispenses utiles, et tous les privilèges. Le pape lui donne une licence annuelle trois fois de suite (1444, 1445, 14461), et la lui délivre ensuite à vie.
Ainsi, parce qu'il a la faveur du roi et du pape, Jacques Coeur va pouvoir assurer la prospérité du Languedoc, et celle de son négoce. Et parce que son négoce sera devenu prospère, il aura de plus en plus la confiance du royaume et de la papauté, dont il sera le serviteur de plus en plus efficace.
Effets et causes s'enchevêtrent pour concourir à sa réussite. Il y en a d'autres encore. Avec la même adresse, il se glisse auprès de la famille d'Aragon, qui règne en Catalogne et en Sicile et qui, au cours de ce Moyen Age, où les Etats passent de main en main comme des cartes à jouer, a possédé Montpellier pendant deux siècles, de 1137 à 1349. Catalans et Montpelliérains depuis lors ont gardé des liens, que Jacques Coeur va renforcer. Enfin, il s'assure d'une quatrième amitié, de l'autre côté de l'eau: celle du soudan d'Egypte, passablement rebuté par l'excessive habileté commerciale des Génois et des Vénitiens. Jacques Coeur, contre eux, joue la loyauté, et séduit le soudan; tous les atouts sont désormais dans son jeu.

Un parvenu cousu d'or


Que l'ivresse du succès tourne un peu la tête de ce nouveau riche, auquel est dévolu de surcroît un rôle politique, comment s'en étonner?
Jacques de Lalain, chevalier du duc de Bourgogne, le premier tournoyeur du royaume, voyage de ville en ville pour disputer des tournois. Excellent propagandiste pour la Bourgogne, car il se double d'un écrivain, chargé de la chronique des ducs. Il est à Montpellier pour l'inauguration des états de Languedoc. Il y remarque Jacques Coeur pour la richesse de son costume - chausses écarlates, pourpoint de velours, chaîne d'or comme en ont les gentilshommes de la cour -, et aussi pour « l'originalité de ses vues ». Le nouveau conseiller aux états l'invite « le dimanche à festoyer grandement en un très beau dîner». Après dîner, on devise; l'hôte conduit Lalain « en un comptoir où il voit beaucoup de bijoux d'or et de joyaux », et négligemment, l'invite à prendre tout ce qui lui est nécessaire, sachant que son voyage entraîne de grandes dépenses. Le chevalier veut-il reprendre des bijoux donnés en gage? (Ce gage est, au XVe siècle, une manière de chèque de voyage pour les seigneurs.) Jacques Coeur les lui récupérera. « Il n'est guère de royaume et de provinces, ajoute l'argentier, où je n'aie mes changes. » Le chevalier décline en souriant l'aimable proposition: son maître de Bourgogne ne le laisse manquer de rien.
Faux-pas de parvenu, dont le grand seigneur se gaussera sans doute à la cour de Dijon - si même il a, par politesse, accepté un ou deux bijoux.


Palais de Jacques Coeur en 1977.jpg
L'Hôtel Jacques Coeur à Bourges, fut construit entre 1443 et 1453.
La construction gothique s'appuie sur l'enceinte gallo-romaine et englobe deux anciennes tours.
Le logis principal est flanqué de trois escaliers où se retrouvent fréquemment dans le décor sculpté des banderoles portant la devise « à vaillant coeur, rien d'impossible».


Jacques Coeur travaille pour l'exportation


Jusqu'ici, Jacques Coeur n'a été que négociant. Il va maintenant devenir industriel, et armateur. Industriel: Avec les laines du Berry, du Languedoc, de Chypre, il fera des draps recherchés des Vénitiens. Il aura des fabriques d'orfèvrerie, d'émaux, un atelier de harnais pour lequel il fera venir des spécialistes allemands.
Les consuls de Montpellier ont obtenu du roi la régie des laines: Jacques Coeur les persuade d'en utiliser le revenu en montant des teintureries. Avec la garance provençale, Montpellier teindra des draps pour l'Orient, en utilisant en outre d'autres produits tinctoriaux que les galées rapportent du Levant. La teinturerie devient une spécialité de Montpellier. Mais elle consomme de l'eau. Pour y pourvoir, il faut capter des sources et établir une distribution d'eau, ce qui sera fait en partant d'une source abondante que Jacques Coeur entoure d'un charmant décor. Les amoureux, plus tard, en feront un lieu de rendez-vous, sans savoir à qui ils le doivent, et les jaloux l'appelleront « la Font Putanel ». Ainsi se diluent les grands souvenirs.
Les draps, les toiles fines, le corail de Marseille, le vin ne donnent pas encore un fret suffisant pour l'exportation. L'Orient est friand de métaux, qu'il ne produit pas. Jacques Coeur va ouvrir dans le Beaujolais et le Lyonnais des mines d'argent, de fer, de plomb, de cuivre. Il prend à ferme pour douze ans le droit que le roi levait sur toutes les mines. Ces mines avaient jadis, semble-t-il, été exploitées par les Romains, abandonnées depuis lors, contiennent-elles d'importantes réserves ? C'est fort douteux. Seul, en tout cas, un organisateur de premier ordre, et muni de gros moyens, peut en entreprendre l'exploitation. Jacques Coeur est encore l'homme nécessaire.

Il fonde une banque à Lyon


Il fonde une compagnie avec un maître mineur, un fondeur, un marchand de Beaujeu. Elle ne paraît pas avoir été très prospère. Du moins Jacques Coeur a-t-il là une possibilité officielle et reconnue de se procurer du métal d'argent; ce qui est intéressant pour trafiquer avec l'Orient. Excellent alibi, puisque les ordonnances royales interdisent l'exportation des pièces monnayées. Désormais, qu'il rafle des pièces d'argent à Bruges, à Genève ou en France, il pourra prétendre, en les embarquant pour le Levant, fondues en lingots, avoir extrait cet argent de ses mines. Et puis, cette activité nouvelle révèle à Jacques Coeur les possibilités de Lyon, cette ville-carrefour, où convergent les routes de tous les pays, cette ville que la guerre a étouffée, et qui ne demande pour revivre qu'une lueur de paix. La paix, le grand animateur se sent de taille à la procurer bientôt à la France. Alors Lyon pourra devenir l'heureuse concurrente de Genève, attirer à ses foires tous les marchands d'Europe. Et Jacques Coeur joue le renouveau de la grande ville. En bon spéculateur, prévoyant la hausse certaine que Lyon va lui devoir, il y achète plusieurs maisons: la grandmaison de l'argentier, la maison ronde, la maison de la rue Mercière, qui lui servira de demeure personnelle. Maison luxueusement meublée, qui éblouit les notables lyonnais appelés à traiter des affaires avec l'argentier au cours de grands dîners où s'étaient les plus jolies « nappes fines, à l'ouvrage de Damas et de Venise », et la plus riche vaisselle d'argent. C'est là que Jacques Coeur reçoit les banquiers Jean et Pierre Villars avec lesquels il forme la Compagnie dont ils seront les agents; là qu'il rencontre Guillaume de Varye, longtemps son agent à Genève, et qui va ramener vers Lyon d'utiles correspondants.
Dans ces opérations lyonnaises, il ne semble pas créer d'affaire personnelle: il soutient plutôt des affaires existantes, auxquelles il rend de la vitalité, et participe à leurs bénéfices. Il est plutôt un banquier d'affaires. Précaution fréquemment employée par lui: ce sage ne cherche pas à faire sonner son nom dans trop d'entreprises. « Dire, faire, taire », est un de ses axiomes favoris.
Pourtant, il créera lui-même une industrie à Rochetaillée: un moulin à papier. Ici encore, il est à l'avant-garde des idées. On écrivait jusque-là sur du parchemin, peau d'animal (mouton, veau, chèvre) préparée pour l'écriture, ou sur du papyrus venu d'Egypte. Pour faire de la pâte à papier, il fallait du chiffon, ce qui supposait du linge.
Or, le linge de corps semble n'avoir fait son apparition en France qu'au XVe siècle.
Les hommes et les femmes les plus élégants comme les plus simples, n'avaient été jusque-là vêtus que de laine. Les grandes dames portaient des chemises de serge. Les enluminures nous montrent des malades et des morts complètement nus dans leurs lits.
Le développement, sinon l'invention de l'industrie du linge, est en tout cas une nouveauté, et Jacques Coeur voit aussitôt le parti qu'on peut en tirer: le linge usé, devenu chiffon, va se transformer, à la Rochetaillée, en pâte à papier.
Création d'autant plus opportune qu'en Egypte, la situation du marché se retourne: le soudan, jusque-là exportateur de papyrus, réclame du papier. De vendeur, il devient acheteur.
Jacques Coeur ne laisse passer aucune occasion de compléter le fret de ses navires. Un si prodigieux animateur échappe à la loi commune et à la pénible obligation de payer des impôts. C'est du moins son avis, qu'il réussit sans peine à faire partager aux villes auxquelles, d'un coup de baguette magique, il procure la prospérité. A quoi bon agacer pour cinq mille écus un contribuable qui en fait tomber mille fois autant sur la ville? Lyon s'en avise, comme Montpellier. Les consuls rayent des tailles leur bienfaiteur « vu qu'il pourrait (en se retirant) plus nuire à ladite ville que ne porteraient de profit lesdites tailles ».

L'industriel se fait armateur


Y a-t-il encore un marché que Jacques Coeur ait négligé? Le marché anglais, sans doute, et pour de bonnes raisons! Mais non, pas même. Sur l'échiquier occidental, si complexe, nous avons des amis dans les îles Britanniques: les Ecossais. Par eux, Jacques Coeur entretient en pleine guerre des relations avec Bruges, grande pourvoyeuse de harengs, et consommatrice d'articles d'épicerie. Et. dès que les trêves de Tours (1444) lui ouvrent directement le marché anglais, Guillaume de Varye envoie un émissaire à Londres.
Négociant, banquier, conseiller du roi, industriel, le rénovateur n'oublie pas pour autant de devenir armateur. Le Levant est toujours son pôle d'attraction, et la Méditerranée le moyen d'y parvenir. Il lui faut maintenant sa flotte personnelle, une flotte à la construction de laquelle il intéressera le roi, son grand, son constant associé, une flotte qui battra pavillon royal, et sera seule à le battre.
Un personnage inattendu a pris de l'importance en Méditerranée; il est capable de contrebalancer à la fois la puissance du roi et celle de Jacques Coeur: Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Sans doute, la Bourgogne n'a pas de débouché sur la mer du sud. Mais Amédée de Savoie y a des ports. Et Philippe lui a acheté le droit de créer dans un de ceux-ci, à Villefranche-sur-Mer, une station de trois voiliers marchands et de quatre galées de guerre. Voilà de quoi stimuler l'amour-propre de Charles VII. Jacques Coeur, pour parer le coup, décide d'ouvrir à Aigues-Mortes des chantiers navals, d'y construire une flotte: l'appui du roi lui est assuré.
Il lui faut, il est vrai, l'autorisation du duc de Savoie pour amener à Aigues-Mortes, par le Rhône, des bois d'oeuvre liés en radeaux. Cette autorisation, il l'obtient aussitôt: il s'est glissé déjà dans les bonnes grâces d'Amédée de Savoie, comme des autres.
Ami de tout le monde, créancier de beaucoup (mais créancier souple et conciliant), il est devenu pour tous l'homme indispensable, le négociateur rêvé: chacun de ses succès en prépare un autre. Les seigneurs qu'il oblige ne songent même pas à lui en vouloir (pas encore, du moins), car il a la manière: il est aimable, il est souriant. Sur les murs de son palais de Bourges, nous lirons plus tard cette inscription, plusieurs fois répétée: De ma joie, qu'on peut interpréter comme une volonté de bonne humeur, le keep smiling des Américains (Restez souriants).


Jacques Coeur
Jacques Coeur

Une prodigieuse réussite


Avant de mettre en chantier sa première galée, Jacques Coeur, sans vain amour-propre, s'en fait construire une à Gênes, dont la vieille expérience fait autorité. Il la ramène à Aigues-Mortes, et la Notre-Dame-Saint-Denis est construite sur le modèle génois. Elle va sortir de ses chantiers. Tout est prêt... quand on constate à l'aube sa disparition: ce sont des Génois qui, de nuit, sont venus l'enlever, furieux d'avoir été copiés par un concurrent dangereux. Un homme comme Jacques Coeur ne se fâche pas: il saura toujours arranger les choses. Comment?... De toute façon, il récupérera la Notre-Dame-Saint-Denis, à laquelle succéderont régulièrement sur ses chantiers d'autres galées.
On le voit, dans les mêmes années, entretenir avec Florence des relations suivies, et y créer une fabrique de soieries. On le voit passer un accord avec les chevaliers de Rhodes, pour s'assurer dans leur île une escale et un refuge. On le voit organiser également un transit terrestre des marchandises débarquées sur la côte; des convois dorénavant les transporteront en vingt-quatre jours jusqu'à Paris, en desservant le Centre, ou en vingt-sept jours quand ils passeront par la haute Bourgogne.
Ces réussites prodigieuses et si diverses, il les doit à des qualités exceptionnelles que ses détracteurs même ne contestent pas. Sans doute, l'appui du roi lui permet seul de leur donner leur plein développement, ce qui suscite naturellement la jalousie des concurrents contre cet homme heureux qui draine les monopoles. Mais pourquoi Charles VII le Bien-Servi favorise-t-il ainsi son argentier, sinon parce qu'il a reconnu en lui rhomme supérieur, unique à l'époque, capable de tirer le royaume du marasme, de la misère et de l'invasion ?

Charles-Maurice CHENU





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