Un symbole
Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille furent pour les générations qui les ont suivis le symbole du renouveau espagnol. En quelques années, un seul souverain gouvernait l'ensemble des royaumes espagnoles (à l'exception du Portugal), et la péninsule était "débarassée" de la présence musulmane. Puis l'Espagne, elle-même, se retrouvait au centre d'un vaste empire, à la fois méditérranéen et océanique.
Mais rien ne semblait aussi simple au départ...
Deux jeunesses troublées par la guerre civile
Ferdinand était le second fils de Jean II d'Aragon et de Blanche de Navarre. L'Aragonais était à l'époque un territoire avec pour débouché méditerranéen Barcelone. Au moment du mariage avec Isabelle, la guerre civile sévissait sur son pays.
Isabelle était la fille de Jean II de Castille et de Isabelle du Portugal. Elle vivait retranchée dans un couvent avec sa mère après la mort de son père qui laissa le pouvoir à son demi-frère Henri IV de Castille. Celui-ci destinait le trône à sa fille Jeanne, surnommée "la Beltraneja" parce que la rumeur affirmait que le vrai père était un favori du roi (d'où le nom substantivé). Cette mauvaise réputation laissait présager une succession difficile. Mais Henri pensait contrôler le jeu en imposant un mari à Isabelle (prince français ou roi du Portugal ?).
Le mariage
Isabelle était soutenue dans ses ambitions par l'archevèque de Tolède et d'autres grands. Celui-ci arrangea alors un mariage secret avec le fils de Jean II d'Aragon, Ferdinand, en dépis des ordres du roi de Castille, Henri. Étant cousins, les futurs mariés devaient demander l'autorisation du pape, mais pour gagner du temps, l'archevèque fit rédiger un faux! Le mariage eut lieu à Valladolid en 1469 en toute discrétion, pendant une absence de Henri IV. Pour s'y rendre, Ferdinand dut traverser déguisé son pays en proie aux troubles. Henri, de retour, ne put que reconnaître le mariage et tenter de circonvenir le danger que représente Isabelle pour la paix en Castille.
Troubles interieurs réduits
Tandis qu'en Aragonais, Jean II réduisait définitivement les soulèvements en 1472 en pénétrant dans Barcelone, la guerre de succession en Castille se déclenchait à la mort du roi (1574). Louis XI de France envahit le nord de la Castille. Alfonse V du Portugal, un des prétendants d'Isabelle, l'ouest. Le jeune prince Ferdinand, roi de Sicile, se démèna pour réunir des fonds et des nobles. Ces efforts de diplomatie furent récompensés par la défaite d'Alfonse à la bataille de Toro (1476). La situation fut pratiquement rétablit à l'intérieur lorsque les Cortes de Castille reconnaissèrent Isabelle. Il fallut attendre cependant 1479 pour que la guerre civile prit fin et que la Beltraneja s'enferma dans un couvent. La même année, Ferdinand devint roi d'Aragon à la mort de son père.
Une association politique
Les deux rois furent liés par les liens du mariage, mais aussi par un contrat d'association politique. Toutes les décisions en politique étrangère étaient prises en commun. Ils voyagaient donc ensemble par monts et par vaux, Isabelle partageant la vie de camp de son mari. Jamais, rois ne furent plus près de leur peuple, au dire des témoins de l'époque.
La fin de la guerre de reconquète (Reconquista)
En 1481, les maures relancèrent la guerre en s'emparant de Zahara. Ils venaient sans le savoir de prononcer la fin de l'émirat espagnol. Le dernier acte fut donné, 10 ans plus tard, à Grenade qu'un dure siège encerclait. La résistance fut farouche, mais la ville se rendit au bout de 6 mois aux Rois Catholiques le premier janvier de l'année 1492. En mars de la même année, les juifs furent officiellement expulsés. Les années qui suivirent furent le théatre de longues traques à l'intérieur du pays à la poursuite des hérétiques et autres mauvais convertis. L'Espagne entière en trembla. Les musulmans et juifs se convertirent en masse. Certains fuirent vers l'Afrique ou le Portugal, puis revinrent. Un siècle plus tard, les morrisques, des convertis de force, se révoltaient encore. Ces nouvelles conquètes allèrent à la Castille qui s'affirmait comme le royaume le plus puissant de la péninsule, celui qui fournit par la suite les hommes et l'argent à toute expédition d'envergure.
Un empire méditerranéen
La France délaissa le sud ouest en cèdant le Rousillon aux rois Catholiques (1493) pour mener une politique aggressive en Italie qu'envahit Charles VIII. Celui-ci assièga Naples. Ferdinand déploya tous ses efforts pour encercler et isoler la France. Une sainte alliance entre l'espagne, l'empire germanique, le pape et l'Angleterre fut mise en place. Ferdinand passa alors à l'attaque. Il envoya Gonzalve de Cordoue à la tête d'un corps d'expédition qui mit en déroute les armées françaises (1494). Un autre roi de France (Louis XII) reprit la guerre peu après, mais il ne put remettre en question le contrôle effectif de Ferdinand sur l'Italie du Sud (qui était déja maître de la Sardaigne et de la Sicile). Citons encore l'expansion plus tardive en Afrique : 1505, Mers-el-Kébir, 1509, Oran, 1511, Tripoli, Alger qui toutefois ne cessa de changer de camp durant tout le XVIe s.
Un empire océanique
La Castille, à la suite du Portugal, s'intéressa aux aventures océaniques. Le Portugal cèdait les îles Canaries, qui n'étaient alors qu'un petit lieu d'escale, en 1479. 1486 fut la date de la première rencontre entre les rois et Christophe Colomb. Après de longues intrigues, Isabelle se laissa convaincre par Luis de Santagnel (secrétaire de Ferdinand) et des hommes profondémment religieux qui surent faire le tableau idyllique, aux yeux de la très pieuse reine, d'un Islam pris à revers par l'Asie. Et peut-être, qui sait, le fabuleux royaume du Prêtre-Jean (en Chine ?) permettra des alliances inespérées. En 1492, l'audacieux projet est accepté. Déconvenues, illusions. Mais un empire en émergea finalement. Et ce fut bien de l'or et de l'argent par tonnes qui affluèrent dans les ports de Castille et iront irriguer l'économie de l'Europe.
(Voir : La découverte de l'Amérique par les Portugais)
Les alliances
La diplomatie, à l'époque, se résumait à avoir une bonne politique matrimoniale. Ferdinand, le stratège, s'adonna aux calculs les plus savants pour isoler une France expantionniste. Il s'allia avec l'empereur Maximilien Ier par l'intermédiaire de deux mariages croisés. Sa fille Jeanne se maria au fils du second, Philippe (1496), tandis que son fils Jean, l'héritier potentiel des deux couronnes, était marié à Margarette (1497). Hélas, Jean mourut sans descendance la même année. Ferdinand rétablissait aussi des liens avec le Portugal en donnant sa fille Isabelle au roi Alfonse. Celui-ci mourut rapidement. La veuve fut aussitôt mariée au nouveau roi Manuel du Portugal. Mais Isabelle décèda elle-même en 1498, son fils en 1500. Manuel épousa alors une autre soeur, Maria. Une dernière fille, Catherine fut mariée au roi d'Angleterre Henri VIII. Échec. Et Jeanne commençait à donner des signes de folie. Cependant, le drame pour la Castille était la mort d'Isabelle en 1504. Ce fut aussi un drame pour Ferdinand, mais plutôt d'un point de vue politique. Car les deux royaumes étaient toujours indépendants par l'existence de deux trônes séparés. Ferdinand fut nommé régent, mais Philippe, son gendre, réclama le royaume. Ce dernier obtint gain de cause. Il fut nommé Philippe I de Castille avec Jeanne pour reine. Philippe mourut en 1506. Jeanne en perdit définitivement la tête (d'où son surnom de Jeanne la Folle). Ferdinand fut rappelé comme régent de Charles, son petit-fils, qui était élevé à Bruxelles.
Le pire scénario pour Ferdinand s'était finalement produit : la main mise des Habsgbourg, des étrangers, sur l'Espagne.
Les dernières années de Ferdinand
Après la mort d'Isabelle, Ferdinand demanda la main de la Beltraneja, dans l'espoir de reconquérir le trône de Castille. Mais elle refusa. Peut-être à cause de la vieille rancune qu'elle vouait à Isabelle, l'usurpatrice. Ferdinand se tourna alors vers une princesse française, Germaine de Foix, afin d'affaiblir la future position dominante des Habsgbourg en Europe par un rapprochementt avec la France. Un dernier coup du sort, cette fois-ci heureux, donna sans coup férir la Navarre à un Ferdinand vieillissant (1512). À sa mort, son petit-fils, futur empereur du Saint Empire Germanique hérita de tous les royaumes rassemblés par son grand-père et son père ainsi que de l'énorme empire océanique.
Le jeu compliqué et hasardeux des alliances matrimoniales rassemblait les Espagnes. Le rapprochement avec le Portugal avait cependant échoué. Il se fit par la force sous le règne de Philippe II à la fin du XVIe s.