La guerre civile japonaise du 15ème siècle

Article tiré de Historia

1492, l'année où Christophe Colomb croyait découvrir le continent asiatique en abordant aux Antilles, et où les Anglais acceptaient d'évacuer le sol français moyennant une somme, fabuleuse pour l'époque, de 750 000 écus payables en quinze ans (traité d'Etaples du 3 novembre), le Japon était en pleine guerre civile. Les shôgun (sortes de régents militaires nommés par l'empereur), se désintéressant des luttes que se livraient entre eux les shugo (intendants des provinces), s'adonnaient aux beaux-arts dans leurs pillas de plaisance, comme celle que le shôgun Ashikaga Yoshimasa s'était fait construire quelque cinq années auparavant près de Kyoto, et connue depuis sous le nom de " Pavillon d'argent " (Ginkaku-ji).
Tout avait commencé en 1467 par une querelle insignifiante au premier abord entre quelques seigneurs guerriers des provinces, au sujet des droits à la succession d'un fils adoptif. Mais ce genre de dispute, commun à cette époque, n'aurait certes pas donné lieu à une conflagration générale si les conditions sociales ne s'étaient sans cesse détériorées depuis la chute du shôgunat de Kamakura en 1333. L'autorité du gouvernement shôgunal (appelé Bakufu) de la famille des Ashikaga, qui lui avait alors succédé, avait commencé de se dégrader dès le début du XVe siècle.
Nombre de provinces ayant fait sécession, et les seigneurs rechignant de plus en plus à payer leurs impôts, la situation financière du Bakufu était chancelante. Celle de la cour impériale n'était guère plus satisfaisante. La force résidant chez ceux qui étaient assez riches en terres pour pouvoir lever des armées et les entretenir, du fait de leur pauvreté relative, ni les empereurs (déjà réduits à l'état de fantoches par le shôgun), ni les shôgun ne pouvaient posséder d'armées suffisamment puissantes pour faire échec à celles des gouverneurs des provinces.

Des brigands pillent le palais

En 1440, l'empereur ne pouvant payer ses gardes, des bandes de brigands avaient pillé le palais. Les forces de police étaient alors inexistantes ou presque, et les bandits écumaient les rues de la capitale. Dans les campagnes, les paysans, souvent écrasés de dettes, se révoltaient sans cesse, et les " édits de grâce " promulgués par les shôgun n'avaient aucun effet. La discipline féodale, qui avait maintenu le pays en ordre à l'époque de Kamakura, n'était plus guère observée et la relative stagnation de la société avait fait place à un esprit général aspirant au changement, à une vie plus aisée. Les traditions n'étant plus observées, s'était progressivement développée, surtout chez les seigneurs, une énergie nouvelle tendant à une sorte d'esprit de compétition intense pour le pouvoir et les possessions territoriales.

Détails de paravents épiques (XVe s.). Pendant des siècles et dès la fin de l'époque de Kamakura (1333), le Japon vécut dans un climat de guerres civiles permanentes qui auront duré en réalité cent trente-trois années.


Un duel entre deux familles

Les grands officiers shôgunaux résidant à Kyoto, au lieu de surveiller les provinces dont ils avaient théoriquement la charge, se disputaient pour obtenir des postes honorifiques à la cour. Pendant ce temps, les shugo (ou intendants) des provinces affermissaient leur pouvoir, prenaient de force la place des officiers shôgunaux et enrôlaient des paysans dans leurs armées. Afin de s'assurer des territoires de plus en plus grands (ce qui augmentait leur richesse), ils s'alliaient souvent entre eux et constituaient des ligues afin de mieux pouvoir résister aux ordres comme aux envoyés du shôgun, ainsi qu'à la pression qu'exerçaient sur eux les grands seigneurs proches du shôgunat, comme les Hosokawa, les Shiba ou les Hatakeyama.

Détails de paravents épiques (XVe s.).

Vers le milieu du XVe siècle, deux familles surtout se disputaient la prééminence à Kyoto, celle des Hosokawa dirigée par Hosokawa Katsumoto, et celle de son beau-père Yamana Sôzen. Hosokawa Katsumoto était alors kanrei (député du shôgun à Kyôto) et jouissait de la confiance du shôgun. Yamana, en revanche, bien que puissant, enviait la position de son beau-fils, qu'il haïssait. La situation empira en 1464, lorsque le shôgun Yoshimasa, lassé du pouvoir et désireux de se consacrer à ses plaisirs d'esthète, se décida à passer la main, alors qu'il avait à peine trente ans.

Les jeunes princesses quittent la ville

A qui donner le pouvoir shôgunal, Yoshimasa n'ayant pas d'héritier ? Hosokawa se prononçait en faveur du jeune Yoshimi, un frère de Yoshimasa, qui se trouvait alors moine dans un monastère bouddhique. Mais alors que cette succession semblait devoir être assurée, l'épouse de Yoshimasa, Tomiko, donna naissance à un fils, Yoshihisa. La succession au titre de shôgun fut donc, de ce fait, remise en question. Mais alors que le shôgun Yoshimasa et Hosokawa soutenaient fermement la candidature de Yoshimi, Yamana Sôzen, qui cherchait depuis longtemps une raison de s'opposer à Hosokawa, prit le parti de Tomiko qui réclamait le titre pour son fils nouveau-né. Chacun des deux protagonistes chercha alors à s'assurer le concours d'alliés dans le but de faire triompher leur cause. Ils réussirent ainsi à rameuter à Kyoto et dans les environs des forces considérables. Selon le Onin-ki, un ouvrage historique relatant les événements qui eurent lieu pendant l'ère d'Onin, les forces en présence étaient, pour Hosokawa, d'environ 85 000 hommes, et pour Yamana, d'environ 80 000 soldats, appartenant soit à leur famille soit à des collatéraux et affiés. Yamana, ayant accusé Hosokawa devant le shôgun Yoshimasa de s'être mêlé d'une dispute entre les membres de la famille Hatakeyama au sujet de la nomination de l'un d'entre eux au poste de kanrei, demanda qu'on lui donne la permission de " punir " Hosokawa. Yoshimasa, qui ne souciait pas de provoquer un conflit armé, la lui refusa et se contenta de réprimander Hosokawa. Alors Yamana s'empara de la personne de Yoshimi et conduisit celui-ci à la résidence shôgunale de Muromachi, qu'il se mit en devoir de fortifier.

Peinture extraite d'un kakemono (rouleau peint sur toile ou sur soie).

Dès le début de 1467, divers événements précipitèrent le cours des choses, augmentant la tension qui régnait dans la capitale. On apprit tout d'abord qu'une armée de 20 000 hommes, envoyée par le seigneur Ouchi, marchait vers Kyoto pour venir en aide à Yamana. Puis la résidence d'un des officiers de Hosokawa se vit soudain détruite, et d'autres incendies criminels se déclarèrent à Kyoto et dans les provinces. Enfin, un convoi de riz destiné à la capitale et escorté par des soldats de Yamana fut attaqué et saisi dans la province de Tamba par des troupes appartenant à Hosokawa. Les rumeurs de guerre se faisant plus précises, nombre d'habitants de Kyoto s'empressèrent de quitter la capitale et les jeunes princesses de la cour furent convoyées en hâte en dehors de Kyoto. C'est alors que des soldats de Hosokawa attaquèrent la maison d'un des officiers de Yamana.

Kyoto brûle

Au cours des combats, qui durèrent plusieurs jours, de nombreuses maisons, des monastères furent incendiés, soit par des soldats, soit par des brigands profitant du désordre pour piller. Bien que Yoshimasa ait ordonné aux adversaires d'observer une trêve et de se réconcilier, la guerre ne fit que s'intensifier. Les armées en présence creusèrent des tranchées pour s'abriter, incendièrent les mai sons pour dégager le terrain. Hosokawa cependant, fort de son influence sur Yoshimasa, avait induit celui-ci à déclarer Yamana rebelle, bien que ce fût en réalité lui qui avait déclenché les hostilités. Yoshimasa ordonna alors à son frère Yoshimi de " châtier le rebelle ", lui donnant Hosokawa comme général en chef. De ce fait certains des alliés de Yamana désertèrent sa cause, mais Yamana en appela alors à d'autres seigneurs, comme les Ouchi, qui lui envoyèrent des troupes en renfort.
Attaque par des 
samourais
Scène d'une attaque conduite par des samouraïs. Une maîtrise absolue du combat : le samouraï doit observer la loi du bushido - le code d'honneur du guerrier - qui lui prescrit, entre autres, d'avoir une " âme transparente " et de " répandre son sang comme le cerisier laisse tomber ses fleurs "...

Dans la capitale, les destructions allaient bon train, et une grande partie des habitations étaient la proie des flammes. Bientôt, on en vint à qualifier les armées de Hosokawa d'" Armée de l'Est " et celles de Yamana d'" Armée de l'Ouest ", en raison d'une part de leurs positions par rapport au palais impérial et de l'autre de l'origine de leurs affiés. Yamana avait vu ses forces augmenter considérablement, Ouchi lui ayant fait parvenir, par mer, accompagnés de pirates, comme par terre, plus de 20 000 hommes. Grâce à ces renforts, Yamana prit rapidement le dessus. Il s'ensuivit un véritable carnage et les chroniques du temps affirment que, chaque jour, des charretées entières de têtes coupées étaient jetées dans des fosses. Cependant, le shôgun Yoshimasa, bien que la bataille fit rage autour de son palais, agissait comme en temps de paix et organisait des réunions amicales et des cérémonies du thé. A la fin de l'année 1467, plus de la moitié de la ville de Kyoto avait été incendiée et les décombres emplissaient les rues. Un poète décrivit ainsi la cité ravagée:
"Maintenant, la cité que vous avez connue
est devenue une lande déserte,
d'où les alouettes s'envolent le soir alors que vos larmes tombent."
Hosokawa ne tarda pas à reprendre quelque peu du terrain et la guerre entre les deux clans continua, avec son cortège de destructions plusieurs vénérables monastères s'en allèrent en fumée, ainsi que les trésors d'art et les bibliothèques qu'ils renfermaient. De temps à autre, les adversaires, retranchés derrière leurs barricades, arrêtaient de se battre et leurs officiers se distrayaient en composant des poèmes, en s'habillant de luxueux costumes...

Entre alliances et intrigues

Les escarmouches se succédaient, toutes plus meurtrières et désastreuses les unes que les autres, alors que dans l'entourage du shôgun, les intrigues allaient bon train. Après diverses péripéties " diplomatiques ", Yoshimi se retrouva un jour aux côtés de Yamana, en tant que général, ce qui était pour le moins paradoxal, Yamana soutenant contre lui le fils de Yoshimasa ! Mais le jeu des alliances et des intrigues, à la cour impériale comme à celle du shôgun, continuait comme si la guerre n'existait pas. En fait, il importait peu à Hosokawa comme à Yamana que ce fut Yoshimi ou le bébé Yoshihisa qui succédât à la charge de shôgun. Ce qu'ils désiraient avant tout était éliminer leur adversaire et devenir le seigneur le plus puissant, capable de diriger les affaires de I'Etat en influençant le shôgun, quel qu'il fût.
Dans les provinces, l'agitation était grande également et plusieurs officiers des deux camps avaient été obligés de laisser temporairement leur poste à la capitale pour retourner en toute hâte mettre fin aux rébellions paysannes ou de vassaux trop ambitieux.

"L'âge du pays en guerre"

A Kyoto, la guerre s'éternisant, Yamana comme Hosokawa aspiraient maintenant à faire la paix, mais l'agressivité de leurs vassaux et généraux empêchait qu'une trêve fût établie entre les deux camps. Finalement, la question ne se posa bientôt plus pour les deux protagonistes, qui moururent tous les deux en 1473, Hosokawa âgé de quarante-trois ans et Yamana de près de soixante-dix... Les armées demeurèrent cependant en place et, malgré les offres de paix faites par le shôgun Yoshimasa, certains daimyô (seigneurs des provinces) comme Ouchi, déclarèrent ne pas vouloir cesser les hostilités tant que la question de la succession de Yoshimasa ne serait pas résolue. En 1473, ce fut finalement le jeune Yoshihisa qui succéda à son père comme shôgun, aucun des partis en présence n'y voyant plus d'objection majeure. Le shôgun Ashikaga Yoshimasa put enfin se retirer dans sa villa de Higashiyama pour y admirer ses collections de céramiques chinoises et s'adonner aux joies du nô et de la cérémonie du thé.

Duel au sabre de bois entre deux samouraïs au cours d'un combat amical.

La paix était revenue dans la capitale, réduite en cendres par dix années de combats de rues, mais pas dans les provinces, où le feu de la discorde faisait rage entre les différents seigneurs guerriers. Dans le Kantô (la région de l'actuelle Tokyo), les Ashikaga s'affrontaient aux Uesugi pour savoir à laquelle des deux familles reviendrait le privilège d'être nommée Kantô kanrei, c'est-à-dire député-représentant du shôgun dans la région. Dans l'île de Kyushu, les diverses familles de shugo s'affrontaient également pour agrandir leurs territoires aux dépens de leurs voisins...

Des shoguns sans autorité

Le gouvernement central de Kyoto, sis dans le quartier de Muromachi, n'avait plus aucune autorité et la fonction de shôgun était devenue purement honorifique. Commença alors une longue période de désordres civils et militaires qui allait durer une centaine d'années, jusqu'en 1573, et que les historiens japonais appelèrent Sengoku-jidai, " âge du pays en guerre ". L'ex-shôgun Ashikaga Yoshimasa qui, durant la minorité de son fils, tenait encore les rênes de son semblant de gouvernement, étant mort en 1490, le pouvoir demeura aux mains de la puissante famille des Hosokawa, en tant que kanrei de Kyoto. Seul, le jeune Yoshihisa,.le fils de Yoshimasa et de son épouse Tomiko, tenta, malgré sa jeunesse, de s'opposer à l'emprise grandissante des seigneurs, mais il fut tué à la bataille en 1489, avant d'avoir pu changer quoi que ce soit à l'état de choses existant.

Grand conseil du shogun de la dynastie aristocratique Tokugawa (au pouvoir de 1603 à 1867) avec les samouraïs feudataires.

Les shôgun se succédèrent alors rapidement, tous de la famille des Ashikaga, sans qu'aucun d'entre eux puisse regagner quelque semblant d'autorité. Yoshitane succéda en 1490 à son père Yoshimi qui avait repris la robe monastique au temple du Tsûgen-ji, mais se vit obligé, trois ans plus tard, sous la pression des Hosokawa, de s'enfuir de Kyoto. Il tenta bien de revenir à Kyoto en 1499 dans l'espoir de reprendre sa place au shôgun imposé par Hosokawa, Yoshizumi, mais les troupes de ce dernier l'obligèrent à aller se réfugier auprès des Ouchi qui avaient épousé sa cause. Hosokawa Masamoto, le kanrei de Kyoto, ayant été assassiné en 1507, Yoshitane reprit alors l'avantage et sa place de shôgun légitime.

Assassiné dans son cabinet d'aisance

Les shôgun qui lui succédèrent, Yoshiharu, Yoshiteru, Yoshihide et Yoshiaki, se virent chacun à leur tour forcés à l'abdication ou bien tués, comme le pauvre Yoshiteru qui, en 1568, avait été assassiné dans son palais (une rumeur assure que ce fut alors qu'il se trouvait dans son cabinet d'aisance) par un de ses propres vassaux.

Malgré une situation de guerre intestine et de conflits incessants qui faisaient régner un état d'insécurité dans tout le pays (ci-contre embuscade dans un bois), l'économie japonaise prospéra.

La confusion était alors à son comble dans tout le pays, et d'obscurs guerriers en profitèrent pour chasser les gouverneurs provinciaux appointés par le Bakufu et s'ériger en autocrates dans leur région, se rendant maîtres absolus des territoires qu'ils contrôlaient, en confisquant les possessions publiques et privées dont ils pouvaient s'emparer par la force. Ce fut pendant ce Sengoku-jidai que de nombreux vassaux se firent seigneurs et que d'anciens chefs de clan, vaincus, disparurent de la scène politique. Une nouvelle classe de guerriers apparut alors, la plupart d'humble origine, qui se substitua à celle dont les membres, pour la plupart, se prévalaient du titre de descendants d'un quelconque empereur. Ce fut l'ère des Gekokujô, de ceux " de basse extraction remplaçant les nobles ".

Le Japon unifié

Le Japon se partageait alors en plus de vingt "principautés" qui se faisaient sans cesse la guerre, à un moment ou à un autre, dans le but d'éliminer des rivaux et d'affermir leur puissance en agrandissant leurs possessions. Alors que les Hosokawa conservaient la haute main sur les provinces centrales (y compris Kyoto où résidaient l'empereur et le shôgun), les provinces du Nord tombaient sous la coupe de familles rivales, les Yûki, Ashina, Nambu, Date, celles de l'Ouest étaient dominées par les Ouchi, Môri, Yamane, Ukita, l'île de Kyushu voyait s'opposer les familles des Otomo, Shimazu, Arirna et autres. Dans l'ouest, les Hôjô s'affrontaient aux Satomi. Et ainsi dans le reste du Japon où les autres puissantes familles régentaient les provinces, comme les Chôsokabe dans l'île de Shikoku, ou encore les Uesugi, les Takeda et les Asakura dans le nord-ouest.
Cet état de guerre permanente entre les maisons guerrières dura en fait jusqu'en 1573, date à laquelle un guerrier d'origine obscure, Oda Nobunaga, put imposer sa volonté, grâce à un usage intensif de troupes d'infanterie munies d'arquebuses et à déposer le shôgun Yoshiaki. C'est cet Oda Nobunaga qui, grâce à ses généraux Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, commencera la difficile tâche d'unifier le Japon tout entier sous sa férule, entreprise qui ne sera finalement achevée qu'en 1600 par Tokugawa Ieyasu à la bataille de Sekigahara. Cette " guerre de cent ans japonaise " avait en réalité duré cent trente-trois années... et suscité une profonde transformation de la société japonaise.

Louis FRÉDÉRIC

Louis Frédéric est historien, spécialiste de l'histoire asiatique. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié Japon, l'empire éternel (Felin, 1985) et Japon intime (Felin, 1986).


UNE CULTURE RAFFINÉE

Les shôgun de Muromachi, n'ayant pratiquement aucun pouvoir, s'adonnèrent, peut-être par désespoir de ne pouvoir remplir correctement leur charge, aux arts et à la poésie. De sa semi-retraite de Higashiyama, Yoshimasa se montra un mécène avisé et se signala par ses dépenses excessives. Il se fit construire une nouvelle résidence à Muromachi en 1458, et fit élever le splendide " Pavillon d'argent" (terminé en 1493) qui demeure encore un témoin de sa magnificence.
Cependant, on était loin de la richesse montrée par son prédécesseur Yoshimitsu dans son " Pavillon d'or " (Kinkaku ii), le sens esthétique de l'époque étant alors axé sur la simplicité apparente. On a pu voir, dans ce changement d'orientation de l'esthétique de l'époque, l'influence des religieux zen qui préféraient voir les sentiments contenus plutôt que présentés avec ostentation.
Dans celle villa, Yoshimasa éleva la cérémonie du thé à la hauteur d'un art et réunit autour de lui une pléiade d'artistes, peintres comme Sesshû par exemple, poètes, dramaturges spécialisés dans le nô, une forme théâtrale inventée au début du XVe siècle par Zeami, comme Nôami ou Sôami, et personnes de goût, connaisseurs en céramiques ainsi qu'en littérature chinoises, cette dernière étant activement cultivée par les religieux zen des " cinq grands monastères " de la capitale, les Gozan. L'engouement de Yoshimasa pour la porcelaine chinoise incita nombre de marchands à se rendre en Chine pour en rapporter. Les commerçants enrichis, surtout ceux de Sakai, partageaient alors le goût du shôgun pour les pièces les plus précieuses.
Musiciens, acteurs et danseurs étaient également favorisés par les shôgun, et les marchands les plus riches se plaisaient à patronner les artistes. De même, les riches monastères zen entretenaient artistes et poètes. Cette efflorescence des arts et la créativité des aristocrates de l'époque (que l'on a appelée " culture de Higashiyama ") contrastaient fortement avec la rudesse des guerriers qui, bien qu'individuellement parfois fort lettrés, n'hésitaient pas, pour satisfaire leurs ambitions ou gagner une victoire, à détruire le patrimoine accumulé pendant des siècles par leurs devanciers.
La petite société de Higashiyama, eut cependant une influence décisive sur le développement ultérieur du goût des Japonais. Bien que l'inspiration générale vînt de Chine, principalement en peinture et littérature, elle fut profondément naturalisée. Les peintres de la famille des Kanô, par exemple "japonisèrent" complètement les enseignements des maîtres chinois du Suiboku (lavis à l'encre de Chine). La période de Higashiyama vît l'éclosion d'une ligne artistique générale typiquement japonaise, dans laquelle les maîtres anciens n'étaient plus suivis à la lettre, et qui fît place à une constante innovation.

Louis FRÉDÉRIC



UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ

Les paysans qui pour la plupart n'étaient que des ouvriers agricoles purent s'émanciper et devenir des fermiers à part entière, possédant leurs propres champs. Les besoins des armées étant pressants et nombreux, ce furent les artisans de tous métiers qui s'enrichirent, de même que se créa entre eux et les seigneurs de guerre une nouvelle classe sociale, celle des marchands et des prêteurs d'argent qui, bientôt enrichis, devinrent de plus en plus influents. Ceux qui avaient, du fait de la guerre, conquis leur autonomie et ne dépendaient plus uniquement de l'aristocratie terrienne ou shôgunale, créèrent une économie séparée de celle de l'Etat. L'afflux de ces artisans et marchands dans les centres propices au commerce, comme les ports ou les capitales provinciales, donna naissance à de véritables villes nouvelles, là où n'existaient auparavant que des bourgades centrées sur les demeures seigneuriales.

A l'origine de simples paysans, ils forment, après l'introduction des armes à feu (1546) et la construction de châteaux forts, une véritable caste militaire uniquement vouée au métier des armes.

Enfin de très nombreux paysans se firent guerriers afin de défendre leurs propres terres : ces ji-samurai allaient bientôt peser lourd dans les alliances entre les barons. Pendant et après la " guerre d'Ônin ", les paysans du Yamashiro (la région de Kyoto), excédés des déprédations des soldats et las de voir leurs pétitions au Bakufu demeurer lettre morte, se liguèrent en associations de défense groupant des villages entiers. Ils s'armèrent et combattirent alors avec acharnement les guerriers patentés, ashigaru (soldats d'infanterie recrutés un peu partout) aussi bien que les bandes de brigands infestant les chemins.

Louis FRÉDÉRIC


* Samouraï vient du japonais samurau servir.

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