III
LOUIS ET CHARLES : DEUX ADVERSAIRES IRRECONCILIABLES
LA GUERRE REPREND - COUPEE DE TREVES
En janvier 1471, Louis XI rouvrait les hostilités en s'emparant des villes picardes. Le Téméraire riposta par le siège d'Amiens. Mais son armée fondait à vue d'oeil. Il accepta une trêve pour constituer une force permanente à l'imitation de celle de son ennemi. Les ARRAGEOIS devaient payer 8.000 des 120.000 écus nécessaires aux premières dépenses.
Le 14 juin 1471, Charles, du camp d'ARRAS où il avait réuni ses bandes d'ordonnance toutes neuves, lança un défi bruyant, enleva Nesles et Roye, mais échoua devant Beauvais, forcé de conclure une nouvelle trêve en attendant l'Anglais avec lequel il négociait. L'Artois, dont le sud était en but aux incursions du connétable de Saint-Pol, respira ...

Porte de la Vigne
CHARLES EN LORRAINE - L'ALLIANCE ANGLAISE
Arrêté à l'ouest, Charles se tourna vers l'est. En juillet 1473, il annexa la Gueldre. Il voulait davantage : les ARRAGEOIS, qui allaient avoir à payer leur part des 500.000 écus votés par la généralité des provinces, le ressentirent vivement. Quelques-uns, qui regardaient plus haut que leur clocher, purent goûter, en échange, la satisfaction d'apprendre que leur duc bien-aimé avait, le 15 octobre 1473, obligé René II de Lorraine à lui concéder ses principales places-fortes et le libre passage de ses troupes ; qu'à l'entrevue de Trêves (20 septembre - 25 novembre 1473) il avait offert à l'empereur Frédéric III de marier leurs enfants, Marie et Maximilien, en demandant son élection comme roi des Romains ou, au pis-aller, le titre de roi de Bourgogne, et que l'empereur avait réservé sa réponse. D'autre part, malgré la révolte de la Haute-Alsace et la formation, le 4 avril 1474, par les Etats du Rhin inquiets de la politique d'empiètement du duc, de la ligue de Constance où entrèrent les Suisses, nos ARRAGEOIS purent s'enorgueillir du traité de Londres, signé le 25 juillet 1474, entre Charles et Edouard IV et qui marquait le partage de la France.
CHARLES L'ETOURDI - LOUIS LE REALISTE
Hélas, l'armée anglaise ne devait débarquer qu'après le ler mai 1475 et Charles n'eut pas la patience de se tenir tranquille. Il se lança avec étourderie dans une querelle d'Allemands à propos de l'archevêché de Cologne et vint assiéger Neuss, place réputée imprenable située dans une île du Rhin. Il s'acharna à l'investir (juillet 1474 juin 1475). Les ARRAGEOIS goutèrent peu cette fantaisie les Etats d'Artois refusèrent un subside de 10.000 livres. Leur mauvaise humeur se teinta rapidement d'angoisse car Louis XI, à l'affût des embarras de son ennemi, profita de la situation. Pour dévier les forces ducales, compromettre le ravitaillement des Anglais, intimider les féodaux Français, il lança ses troupes, le 1er mai 1475, sur la Bourgogne et la Picardie "et de là elles sont venues jusques à Arras".
L'ARTOIS EN FEU
Le 27 juin "fuent bouté les fus en Artois". Les soldats faisaient bien leur métier : les comptes du receveur d'Artois font apparaître que sur les 1964 maisons de 53 villages du sud d'Arras, 1193 (environ 60 %) furent brûlées : à Avesnes-le-Comte 120 sur 120, à Habarcq 30 sur 30, à Agnez 27 sur 51, à Maroeuil 15 sur 72, à Dainville 16 sur 35... Les bourgeois d'Arras, souffrant pour leurs biens ruraux et les moissons "contraignirent les gens de guerre qui estoient en leur ville de saillir contre les gens du roy". Et, vers quatre heures de l'après-midi, messire Jacques de Saint-Pol, les seigneurs de Contay (gouverneur d'Arras), de Bourbon Carency, de Miraumont "froit et soubstil en la guerre", de Cohem, de Romon et aultres suivis "d'un grand tas de gens de pié" "wuidèrent d'Arras et s'en allèrent à Wailly et de la tirèrent au bosquet de Waignonlieu" où étaient embusqués les Français "jusques au nombre de huit cents lances" (3.000 hommes ?). Le combat s'engagea. Au bruit, l'amiral bâtard de Bourbon monta à cheval et ordonna au seigneur de Concles, Pierre Blosset dit le Moine, de se porter en avant. "Chacun commença de charger à travers les dessus dis d'Arras" qui plièrent sous le choc et furent poursuivis jusqu'aux portes de la ville. Dans la fuite, la salade de Jacques de Saint-Pol lui vola hors de la tête et "navré" au visage il fut fait prisonnier ainsi que les seigneurs de Contay, de Carency ... Plusieurs étaient noyés ou "ochis" comme celui "à une robe de velour noir et une croix d'or qui estoit si deffait" que Mortemart, venu rendre compte au roi ne "l'a sceu congnoistre"...
LES ANGLAIS
Cette piteuse déconfiture alarma la population. Au début de juillet, à Saint-Omer, l'assemblée des bonnes villes d'Artois demanda au duc de prendre des mesures pour "résister à l'entreprise des Franchois". Mais la menace s'écarta d'elle-même car, sous le faux rapport que les Anglais attaquaient la Normandie, Louis XI rétrograda.
Cependant, c'est à Calais qu'Edouard IV prit terre le 4 juillet. Charles le rejoignit le 14 mai sans les 10.000 hommes promis et sans avoir fait organiser le ravitaillement. Edouard manifesta sa déception. Charles le Hardy ne fut pas pris au dépourvu : il déroula un plan mirifique. La plus belle armée qui ait franchi le détroit, forte de 13.000 hommes aguerris, pouvait conquérir seule la France et même l'Italîe. Pendant ce temps, les Bourguignons écraseraient les Lorrains. La besogne achevée, les deux alliés se retrouveraient à Reims pour le couronnement d'Edouard. Celui-ci accepta. Il se mit en campagne. Charles l'accompagna. Le 22 juillet, ils atteignaient Fauquembergues. De là, escorté de "quatre à chincq cens Engles", Charles vint "occultement" à ARRAS.

Porte Hagerue
LA MAUVAISE HUMEUR DES ETATS D'ARTOIS
Le clergé revêtit une nouvelle fois ses capes de soie pour chanter un Te-Deum à Notre-Dame et on fit dans la ville "grandes sonneries et grans fus". Mais le duc n'était pas là pour respirer les fumées de l'encens. Il avait convoqué les Etats d'Artois. Il leur reprocha cruellement leur avarice, les accusa de laisser perdre la province par lâcheté et déloyauté. Il leur cria que, s'ils voulaient défendre leurs frontières, qu'ils s'en chargeassent eux-mêmes et, usant d'un procédé que nul prince avant lui n'avait osé employer, il somma les villes de lui fournir 1.000 combattants sous peine de perdre leurs privilèges. Ce discours était la répétition de celui qu'il avait prononcé, sans succès, devant les Etats de Flandre, avant de partir pour Calais. Les menaces n'intimidèrent pas les membres du Tiers qui n'accordèrent, quelques jours après, qu'un maigre subside. L'argent qu'on voulait leur extorquer ne leur semblait pas destiné à assurer la défense du pays. Comme tous les bourgeois d'affaires des provinces du nord, ils n'admettaient pas que leurs privilèges, et en particulier celui de consentir l'impôt, fussent bafoués. Ils professaient que la guerre est incompatible avec le "fait de marchandise" et rappelaient au duc que ses prédécesseurs s'étaient toujours efforcés "à grant soing et labeur de tous moyens possibles" d'entretenir et de favoriser la prospérité économique.
DES ANGLAIS DECOURAGES
Cependant, Charles chevauchait vers le Hainaut et Edouard, confiant, marchait sur Saint-Quentin qu'il croyait acquise à la coalition. Il y fut reçu à coups de bombardes. Voilà les Anglais bien embarrassés d'autant plus que les Français guettaient leurs mouvements, que les féodaux du royaume ne bougeaient pas et qu'ils ne savaient dans quelle place-forte passer la mauvaise saison qui s'annonçait. Découragé, Edouard IV se laissa acheter par Louis XI la retraite de son armée à Picquigny, le 29 août. La Bourgogne était isolée. Charles, renonçant à la campagne contre la France, signa avec celle-ci les trêves de Soleuvre (13 septembre) ... mais ce fut pour reprendre sa politique lotharingienne.
DES SUISSES VICTORIEUX - DES ARTESIENS RETICENTS
Quelques semaines plus tard, il culbutait les troupes lorraines qui, depuis le 10 mai avaient repris l'offensive, et entrait dans Nancy. Il se tourna alors contre les confédérés qui, aidés financièrement par Louis XI, ne désarmaient pas. Il alla les attaquer chez les Suisses. Il pria ses bonnes villes de contribuer à son action. En vain : aux Etats d'Artois réunis à ARRAS, le 17 février 1476, le Tiers refusa de subvenir à l'équipement et à l'entretien de 200 archers. Et le 2 mars, le duc se faisait surprendre à Granson. La nouvelle parvint à Arras, la nuit de Pâques, le 13 avril. Charles se montrait optimiste : son armée n'était pas diminuée et il manifestait son intention de se "remettre aux champs plus puissant que jamais". Il annonçait une demande de renforts qu'une lettre d'Adolphe de Clèves, son lieutenant-général et de son chancelier Hugonet précisait le corps des villes de l'Artois devait équiper 114 hommes d'armes "gens rades puissans et bien en point". Les 16 et 17 avril, à l'assemblée des Etats réunis à Saint-Vaast, le Tiers déclara que le pays avait assez déboursé pour la guerre. Des pressions répétées ne décidèrent que la noblesse et le clergé à faire un geste. Le Tiers refusa d'octroyer quoi que ce fût. La nouvelle du désastre subi à Morat ne changea pas ces dispositions. Elle eut surtout pour effet d'inquiéter le mayeur et les échevins d'Arras qui apprenant "le rejoissement que font les Franchois" écrivirent à Adolphe de Clèves que la ville, assise en frontière, avait "bon besoing de gens de conduicte et plus grande provision qu'elle n'a". Adolphe promit de faire son possible pour y remédier.
LA FIN D'UN AVENTURIER
Le 7 octobre, le duc de Lorraine rentra dans Nancy. Charles, la rage au coeur, l'esprit perdu, vint assiéger la ville. Il n'avait avec lui que 3 à 4.000 hommes que débandèrent leurs 14.000 adversaires. Et le 5 janvier 1477, le duc Hannibal périssait victime de sa témérité.