IV

CHARLES LE TEMERAIRE DISPARU
LOUIS TRAITE AVEC LES ARRAGEOIS

LOUIS XI PROFITE DE LA MORT DE CHARLES

Plus de duc, plus d'argent, plus d'armée : Marie de Bourgogne, à peine âgée de vingt ans, se voit dans une situation tragique, solitaire au milieu de féroces appétits.
Sans déclaration de guerre, sans autre justification que le droit du souverain à confisquer les biens de son vassal félon, Louis XI a lancé son armée à la conquête du "Grand Héritage". Le 9 janvier elle entre en Bourgogne ; le 15, elle franchit la Somme. L'organisation de la résistance est paralysée par les conseillers du feu duc prêts à trahir, par les états généraux où les villes, réclamant la remise en vigueur de leurs anciennes franchises, forcent Marie à signer, le 11 février, le Grand Privilège qui abolit les institutions centrales créées par son grand-père et son père.

Porte Méaulens
Porte Méaulens

ARRAS INVESTI

L'invasion s'approchait d'Arras où l'on s'affolait quelque peu, car, selon Commynes, on n'eût su réunir huit hommes d'armes et les milices communales ne valaient rien sans le soutien de gens de guerre. Les chanoines cachèrent l'argenterie et les joyaux de la cathédrale et firent porter leur lit dans l'église.
Sommés de se rendre, les Arrageois se trouvaient fort embarrassés. Se donner au roi était s'exposer dans l'avenir à des représailles bourguignonnes possibles. S'affirmer fidèles de la duchesse était provoquer une action française sûrement victorieuse et très dommageable. Gagner du temps, en espérant du secours, s'avérait la seule solution. Par bonheur, Louis XI soucieux de ne pas dresser contre lui les habitants d'une ville dont la position stratégique était importante, ne brusqua pas les choses. Il envoya Commynes à l'abbaye du mont Saint-Eloi, auprès d'une délégation composée d'Adolphe de Clèves, de Philippe de Crèvecoeur, seigneur d'Esquerdes, gouverneur depuis le 21 janvier et de "plusieurs gens de bien". Commynes remarqua que les gens d'Arras "qui de longtemps n'avoient eu nulle adversité et estoient pleins de grant orgueil" avaient bien rabattu de leur superbe et "parloient bas et en grande humilité". Il écouta Jean de la Vacquerie, pensionnaire de l'échevinage, exposer que le comté appartenait à Marie de Bourgogne et supplier le roi de respecter les trêves signées par le défunt duc. Il n'opposa pas, à ce discours, de thèse contraire. Il se contenta d'accomplir sa mission qui était d'acheter des consciences afir que la reddition de la place se fit plus aisément.
L'effet ne s'en fit pas attendre. Une ambassade était venue à Péronne offrir au roi, au nom de Marie, les villes de la Somme. Il lui fut demandé tous les territoires ayant précédemment appartenu à la couronne et propose le mariage du dauphin, âgé de sept ans, avec la duchesse. Les ambassadeurs -dont Pierre de Ranchicourt, évêque d'Arras- n'avaient pas pouvoir de traiter sur de telles bases. Cependant, ils s'efforcèrent d'obtenir une suspension d'armes. "Conseillé et advisé" par le seigneur d'Esquerdes, gagné à sa cause, Louis XI accorda treize jours de trêve à condition que la Cité lui fût remise. Laisser les Français s'établir sous les murs de la capitale de l'Artois était chanceux mais un répit, même court, serait peut-être profitable. D'autre part, la défense de la Cité ne pouvait être que malaisée et les murailles et fossés tournés contre elle assuraient la sécurité relative de la ville. L'accord fut conclu.

LOUIS XI ENTRE DANS LA CITE

La Cité fut livrée, le 3 mars, à Guoyt Pot, bailli de Vermandois et au seigneur du Bouchage. Le roi entra le lendemain et se logea chez le chanoine Mathieu du Hamel. Les habitants de la ville, inquiets sur le sort qu'il leur réservait, lui députèrent, le 6 mars, d'Esquerdes, le seigneur de Souastre, Jean le Josne, mayeur et cinq autres notables pour le supplier de ne rien entreprendre contre eux. Le roi ne promit rien mais répondit avec douceur qu'il n'agissait que pour maintenir sa souveraineté, qu'il était fort éloigné de vouloir porter atteinte aux droits de sa bonne filleule Marie. Comme marque de ses intentions favorables, il leur parla de la réception distinguée qu'il se proposait de faire à Antoine de Bourbon, arrivé de Nancy et dont il avait payé la rançon. Il s'engagea généreusement à observer une trêve de huit jours. Il semblait qu'il laissât mûrir le fruit car il savait Marie incapable d'envoyer d'autre soutien que de bonnes paroles. En effet, elle écrivait à ses très chers et bien aimés sujets d'Arras qu'elle leur savait gré de lui garder la ville. Elle les priait de persévérer et assurait qu'elle constituait une force près de Lille. En attendant, elle leur demandait de payer la garnison sous promesse de remboursement.
Louis XI préparait l'investissement de la ville en fortifiant la Cité de "palis" et en faisant élever des "boulevards de terre". Des drames de conscience se jouaient chez les bourgeois. Certains s'enfuyaient. D'autres "se absentoient journellement et tiroyent en cité du party du roy, prévéant les fortunes à venir", sur douze membres de l'échevinage, quatre (Jehan de Beaumont, Jehan le Bouchier, Nicolas de Cambrin et Mahieu de Rubempré) choisirent les fleurs de Lys.

DES NEGOCIATIONS DIFFICILES

Le 11 mars, le roi reçut de nouveaux ambassadeurs flamands qu'il fit loger en l'hôtel de l'évêque où leur furent présentés "le vin et poisson en grand habondance". Il leur donna audience "dans une chambre parée de un drap de velours bien semé de lys d'or". C'est à genoux qu'ils exposèrent leur "charge" et c'est l'abbé de Saint-Pîerre qui fut leur porte-parole. Il déclara que les états généraux étaient prêts à reconnaître le droit de suzeraineté du roi sur la Flandre, l'Artois et la Bourgogne et que pour la question du mariage de Marie et du dauphin tous les "pays" devaient être consultés. Cette consultation nécessitait l'arrêt des hostilités. Ils s'efforçaient visiblement de gagner du temps. La levée d'une armée générale de cent mille miliciens "pour résister aux malveillans" ayant été décidée le ler mars. Louis XI ne se laissa pas manoeuvrer. Il demanda la mise en gage de l'Artois et du Boulonnais avant toute trêve et avant toute négociation relative au mariage. La GUERRE CONTINUAIT pour les Arrageois qui devaient prendre parti.
Ceux qui n'avaient pas de fortune à sauver ou à espérer implorèrent le ciel de les préserver des "grandes tribulations" qu'il prévoyaient. Le 13 mars, une procession, à laquelle participa tout le clergé, accompagna la Sainte-chandelle, les corps de Saint-Vaast et de Saint-Vindicien, les chefs de Saint Nicaise, de Saint-Jacques et de Saint-Géry, à travers la ville. Prédication et messe solennelle furent dites à Saint-Vaast. A l'élévation la "candeille" fut allumée...

Claquedent ou Barbacane
Claquedent ou Barbacane

LES CONDITIONS DE LA REDDITION

Les réalistes se résolurent à capituler. Le roi montra une extrême mansuétude, avec l'intention de séduire la bourgeoisie commerçante. Le 16 mars, le chancelier d'Oriole et les principaux membres du conseil conférèrent, au faubourg Saint Nîcolas, avec d'Esquerdes, la Vacquerie et d'autres notables, des conditions de la reddition :
Louis XI ratifia le traité et, recevant les clés de la ville, il les rendit aussitôt aux échevins, montrant ainsi sa confiance en leur fidélité future...

Sceau d'Arras