L'ombre de l'altière cathédrale Sainte-Cécile n'est pas bonne pour Saint-Salvy...
Eglise Saint-Salvy
L'église Saint-Salvy est la plus ancienne d'Albi
8-10ème siècles : Eglise carolingienne de moines et de chanoines
1080: Edification de la tour-donjon
1100-1180 : Edification de l'église romane : chevet, transept, nef à 7 travées et 3 portes :
- portail ouest, sous l'orgue (aujourd'hui caché par des maisons rue Sainte Cécile)
- portail nord, l'actuel portail dans lequel on a inséré une porte à l'époque moderne avec fronton à l'ancienne
- porte du cloître
1248-1270: Edification du cloître
1444: Chapelle Saint Augustin, salle du chapitre (près de la chapelle de la Sainte Vierge).
1450: Constructions dans le style gothique flamboyant du choeur, du transept et ses 3 premières travées.
18ème siècle : Elévation de la voûte des 4 travées romanes; installation de l'orgue actuel.
La symphonie héroïque de sa puissante architecture extérieure, le poème éblouissant de ses peintures et de ses sculptures intérieures font une telle impression sur le touriste qu'il néglige l'harmonie discrète et apaisante de l'antique Collégiale sise à quelques pas.
Et pourtant, à elle seule, la vieille église de Saint-Salvy mériterait un déplacement à Albi.
Salvy, le saint de l'Albigeois
Evêque d'Albi au 6ème siècle. Salvy est issu d'une famille fortunée appartenant à la noblesse albigeoise.
Saint-Salvy
Saint Salvy, c'est d'abord un vieux saint, le Saint de l'Albigeois. Il nous est bien connu grâce aux pages ferventes que lui a consacrées son contemporain et ami Grégoire de Tours.
Salvy était un personnage important de la cité d'Albi quand il entendit l'appel à la perfection. Renonçant alors à ses dossiers (il était avocat) et à toute ambition humaine, il gagna quelque part, tout près de la ville, le lieu où des moines se sanctifiaient dans la solitude, la mortification et la prière, selon la Règle des Pères du désert répandue en Gaule, après adaptation, par Saint Martin de Tours. Salvy alla si loin dans la voie de l'ascèse et de la recherche de Dieu, qu'au cours d'une expérience mystique il sembla avoir émigré dans l'au-delà. Il revint à lui cependant, et la réputation de ses vertus comme de sa sagesse dans le gouvernement des moines dont il était devenu l'abbé, était telle que, lors de la vacance du siège d'Albi en 574, la voix du clergé et du peuple le plébiscita pour l'épiscopat. "C'est bien malgré lui qu'il fut ordonné" souligne Grégoire de Tours.
Salvy fut aussi bon évêque qu'il avait été bon moine. En ce siècle de fer, dans l'âpreté et les désordres des temps Mérovingiens, l'évêque est en même temps que le chef spirituel, le défenseur de la cité, le père des pauvres, la conscience du peuple.
Nous voyons ainsi Salvy déployer tous ses talents et engager toutes ses ressources pour arracher à un chef barbare, Mummole (ou Mommole), les prisonniers que celui-ci avait emmenés, pour les punir d'avoir accueilli dans la cité, un rival qui n'avait pas demandé la permission de rentrer (une autre version présente Mummole prendre la ville d'assaut, capturant ses habitants pour les vendre comme esclaves, et les punir d'avoir accepté le joug de Chilpéric, roi de Neustrie, injuste usurpateur de l'Albigeois Austrasien).
Une autre fois, c'est la peste (ou le choléra) qui afflige la cité et Saint Salvy, sans crainte de la contagion, se fait médecin, infirmier et consolateur.
Sa sainteté en imposait aux plus grands et Chilpéric le consulta un jour sur un petit livre qu'il avait écrit sur la Trinité et qui était nettement hérétique. Salvy eut assez de crédit auprès du prince pour lui faire jeter au feu son manuscrit. Le bon évêque mourut en 584 (probablement victime d'une épidémie) et le peuple le pleura comme un père, et se mit à le vénérer et à l'invoquer comme un saint.
Le Chapitre et l'église
La sépulture primitive de Saint Salvy est-elle à situer là où est bâtie l'église actuelle ? Rien de moins sûr. Mais, en 943, cette terre fut donnée aux moines à condition d'y élever une église en l'honneur de Saint Salvy, et les reliques du saint y furent transférées. II existe encore sous le maître-autel une crypte resserrée, vestige de constructions très anciennes.
Les moines mérovingiens sont devenus, entre temps, des chanoines réguliers qui mènent la vie canoniale selon la règle de Saint Chrodegand. Ce sont des clercs séculiers voués au ministère pastoral, regroupés autour d'un supérieur, abbé ou prévôt, formant un chapitre, assurant l'office divin dans leur église appelée 'collégiale' Le chapitre s'est peu à peu constitué prébendes et revenus de sorte que la construction d'une vaste église a pu être envisagée.
Un premier édifice pré-roman n'a pas laissé beaucoup de traces, A l'aube du XIIe siècle fut entreprise la belle construction romane qui a donné forme à l'église actuelle. Les malheurs des temps empêchèrent sans doute l'achèvement rapide du projet aussi l'oeuvre dut être reprise au milieu du XIIIe siècle et pour suivie dans le style gothique de l'époque. Enfin Louis d'Amboise, à la fin du XVe siècle, mit un point final à l'architecture, en style flamboyant (choeur et premières travées). Les siècles suivants apportèrent ornements intérieurs, statues, orgue, fonts baptismaux, etc.
Si l'unité dans la variété est expression de la beauté, belle est la collégiale Saint-Salvy, car en elle se fondent non seulement la diversité des éléments mais encore celle des styles. Monsieur le Chanoine de Laeger, l'historien de Saint Salvy l'a fort bien dit :
" Dans le seul gros oeuvre un oeil exercé distingue ici, juxtaposées, enchevêtrées, les formes architecturales d'au moins cinq siècles. Commencée avant les Capétiens, l'église ne s'achève guère avant les Valois-Angoulême. Elle est une synthèse des styles carolingien, roman, ogival et flamboyant. Les disparates se fondent, à l'intérieur surtout, dans une si heureuse harmonie que la multiplicité des formes, pâture de choix pour la curiosité intellectuelle, ne nuit pas notablement à l'esthétique générale. (L. de Laeger " L'Abbaye de Saint Salvy ") ".
Aspect extérieur de l'édifice
L'église Saint-Salvy est malheureusement prise dans d'autres constructions qui ne permettent pas d'en embrasser d'un coup d'oeil la structure et l'harmonie la façade principale est obstruée par de hautes bâtisses et ailleurs des maisons se sont accolées aux murs comme pour y chercher protection.
Quand on arrive par la rue Mariès, en venant de la cathédrale, ce qui apparaît d'abord, c'est la tour-clocher appelée tour Lavit, fière et singulière dans sa variété de style et d'appareil.
Les fondations et peut-être le plan sont carolingiens. L'architecture de base est d'un roman plus archaïque que l'église donjon bâti sur quatre gros piliers rectangulaires, réunis par des arcs à deux rouleaux, bel appareil de pierres blanches, meurtrières étroites. Le XIIe siècle ajouta à la tour primitive sa grâce gothique faite de fines colonnettes avec chapiteaux et corniche à modillons. Le XVe siècle couronna le tout d'un étage en brique, coiffé sur le côté d'une étrange tourelle crénelée, popularisée sous le nom de « la gachole » (de l'occitan gachar, guetter). La ville qui utilisa cette échauguette comme tour de guet y apposa ses armoiries gravées sur une pierre blanche ; mais le chapitre pour manifester ses droits de propriété y plaça aussi son blason à l'effigie de Saint Salvy inscrit sur une pierre non moins visible.
L'entrée principale où l'on accède par de larges escaliers, est maintenant sur la façade nord. Le portail de style roman fut malheureusement presque entièrement masqué par un encadrement à l'antique avec fronton et niche. Il reste deux des trois voussures, le bandeau d'archivolte et les chapiteaux apparentés à ceux de Vézelay.
On peut pénétrer aussi dans Saint Salvy par des escaliers qui montent de la rue Sainte-Cécile et de la rue Peyrolière. Et la surprise est grande de déboucher sur un enclos ouvert unique ment sur le ciel, et qui conserve les restes d'un vieux cloître. Ce passage couvert qui relie le cloître et la place située au chevet de la collégiale était le coeur de la « canourgue », ancien quartier canonial composé des demeures des chanoines.
Le cloître
Ce cloître est l'oeuvre de Vidal de Malvési qui commença son travail en 1270 et le finit dix-huit mois plus tard. Cet îlot de verdure protégé, fut mutilé au cours de la Révolution française qui vendit des ailes comme biens nationaux. La Révolution ne laissa, hélas subsister que la galerie orientale et le mausolée de l'artiste. On admirera les fines colonnettes, les chapiteaux, mélange de roman et de gothique, les uns à feuillage, d'autres à figure et même historiés tel celui où l'on voit le démon traîner hommes et femmes enchaînés vers la marmite de l'enfer.
Appelé "jardin de l'Éden", ses arcades forment une véritable dentelle de pierre où le chaud soleil albigeois sait jouer de ses rayons pour mettre en valeur l'élégance des arceaux et la finesse de ses dessins.
En reconnaissance du bon travail accompli, Malvési fut autorisé à construire un tombeau pour lui et pour son frère contre l'église. Le style en est purement gothique. Les deux statues qui entourent en haut la Vierge à l'enfant seraient celles des frères Malvési.
Cette face sud de l'église, bien visible du cloître, permet de distinguer dans la construction les diverses assises, romane en bel appareil, gothique en appareil plus grossier puis en brique, et une tour symétrique de la tour Lavit et de facture semblable, qui faisait partie de l'ancien monastère.
Ce jardin fermé, la haute quenouille de quelques cyprès, la margelle d'un puits, ce cloître intemporel, les murs patinés par le soleil évoquent les vieux moutiers, invitent au recueillement et accordent l'âme à la mystérieuse présence de Dieu.
L'intérieur de l'édifice
Quand on pénètre à l'intérieur. on est tout de suite saisi par une impression de lumière, d'élan, de légèreté. Le bel alignement et l'enlèvement des colonnes ouvrent une perspective d'infini, endiguent et concentrent la pensée sur l'essentiel.
Le plan est celui dune basilique en forme de croix latine : nef à sept travées avec des collatéraux de largeur deux fois moindre ; la croisée du transept déborde à peine sur l'alignement des murs. Détail curieux les absidioles sont placées hors de la perspective des bas-côtés.
Les quatre premières travées en partant du fond ont conservé de larges traces de l'art roman : les piliers dans toute leur élévation, massifs, ornés sur les quatre faces de colonnes engagées, chapiteaux à feuillage, à figure ou historiés, ouvertures en plein cintre.
Les absidioles sont les seules parties de l'œuvre romane dont la structure n'ait subi de changement : voûte en cul-de-sac dont l'arc d'ouverture est légèrement outrepassé. Les retables ont été placés beaucoup plus tard.
Le choeur, reconstruit au XVe siècle avec les trois travées qui le précèdent est flamboyant. Le maître-autel et le baldaquin sont de 1723.
Statues et tableaux
Saint-Salvy possédait de très belles châsses et reliquaires confisqués par la Révolution.
Une statue de bois polychrome, présumée du XIIe siècle, est la seule représentation du saint que nous ayons. Elle a été volée en 1989 une copie se trouve au-dessus du portail d'entrée, une autre au-dessus du maître-autel.
Sous l'orgue, six statues polychromes, de facture robuste, qui semblent une copie de celles de la cathédrale, représentent les personnages du sandhérin. Ils entourent l'Ecce homo' le Christ en Jugement.
Dans la première chapelle, à droite en partant du fond, est accrochée une descente de croix, peinture sur bois qui fait songer à un primitif flamand d'une grande fraîcheur.
Dans la chapelle de la Sainte Vierge, partie la plus ancienne de l'église, on s'arrêtera devant les statues de Judith et d'Esther, copies réussies des célèbres oeuvres de la cathédrale Sainte-Cécile.
Conclusion
Nous l'emprunterons à l'historien de Saint-Salvy, le chanoine L. de Laeger :
" Saint-Salvy est une anthologie des styles médiévaux d'architecture.
D'un seul coup d'œil, un regard averti reconnaît trois types de contrefort, trois formes de la fenêtre, trois espèces de l'appareil correspondant chacun à des âges différents.
Bien que, du point de vue esthétique, l'oeuvre soit de second ordre, elle est susceptible d'être classée au tout premier si l'on a égard à son intérêt synthétique et, archéologiquement parlant, à sa valeur pédagogique. "