Arras, la sculpture funéraire

Nord - Pas-de-Calais Arras, la sculpture funéraire Nord - Pas-de-Calais

A la fin du Bas-Empire romain, l'homme ne semble plus se préoccuper de sa commémoration. L'essentiel est d'être enterré près des saints dont on est sûr qu'ils seront sauvés. Ce n'est qu'au XIIe siècle que renaît peu à peu le souci d'individualiser les tombeaux. Encore cet usage est-il limité aux puissants, princes ou évêques. A cette époque renaissent les premières plate-tomhes, presque nues, identifiées par une gravure. La dalle funéraire de l'évêque Frumauld (1180) (n°7) en est un rare exemple. L'inscription, très brève, donne l'identité du défunt figuré avec les attributs de sa fonction. L'évêque n'est pas mort; il a les yeux grands ouverts, il bénit : " bienheureux ", il attend en confiance la résurrection. Non seulement le mort est vivant, mais il est déjà tel qu'il sera au grand jour : jeune, beau et transfiguré.

Dalle funéraire de Frumauld
Dalle funéraire de Frumauld, évèque d'Arras de 1174 à 1183, vient de la cathédrale, musée d'Arras


Cette iconographie créée par le XIIe siècle, est continuée dans les décennies qui suivent. Le mort apparaît avec une sérénité qui n'est plus de ce monde sous un dais sculpté aux arcades trilobées. Les anges viennent l'encenser. Ces chrétiens médiévaux ne tremblent pas, ils espèrent tout de la bonté de Dieu et ont une inébranlable confiance dans son indulgence. La Pierre tombale d'un clerc (1258) en est un témoignage. Elle atteste également très tôt un type de décoration particulière, où les dalles funéraires gravées sont incrustées de plaques de marbre, de cuivre ou de mastics colorés qui en faisaient de véritables tableaux. Ces morts ont presque toujours un animal aux pieds et ce support symbolique les rapproche de l'iconographie des saints. Le dragon souvent représenté sous les pieds des ecclésiastiques illustre la tentation et le péché écrasés, tandis que le lion illustre la bravoure ou le chien, la fidélité. Au XIVe siècle, époque perturbée par les guerres, la peste et les schismes religieux, la confiance dans le salut s'altère. La prédication des ordres mendiants dominicains et franciscains, pousse à un retour doloriste sur soi-même. L'épitaphe funéraire alors s 'allonge et s'adjoint une prière. Le chrétien, même enterré; ad sanctos, n'est plus sûr de sa résurrection. Il invoque le passant pour le repos de son âme tout en l'admonestant pour son édification. Parallèlement les dalles se multiplient, les femmes y accèdent peu à peu. Le masque funéraire (premier tiers du XIVe s.) est un fragment d'une dalle en faible relief. Sa très grande qualité et sa matière (marbre) permettent de supposer qu'il ornait le tombeau d'une personne importante.
Monument funéraire de Jacques Cam
Monument funéraire de Jacques Cam, 1437-1457, vient de l'ancienne cathédrale, musée d'Arras

La dalle de Marie Faverel (1372) (n°26) est un autre exemple de cette diversification.
Dans la même logique, la famille entière peut être associée. Le monument funéraire de la famille Sacquespée (1376) (n° 28) le montre. Il atteste également la réapparition dans la seconde moitié du XIVe siècle des tombeaux verticaux, presque disparus depuis l'Antiquité. Avec cette nouvelle forme de dalle se fige une nouvelle iconographie : le priant, devant un saint ou la Vierge.

Monument funéraire de la famille Sacquespée
Monument funéraire de la famille Sacquespée, 1340-1385, vient du cimetière Saint Nicaise, musée d'Arras


Enfin, on sent que l'effigie funéraire s'individualise. Le réalisme de la figure de Jehan du Pluvinage peut nous amener à penser que nous sommes devant un réel portrait. Jusque-là, la ressemblance n'était pas une qualité recherchée. Dès le XIVe siècle, on représente également sur les tombeaux le jour du Jugement dernier. Ce moment, le mort ne le redoute pas encore, il l'espère. Le tombeau de Hue de Valois et de sa famille (1407) (n°36) en est un exemple.
Monument funéraire du chanoine Robert Li Rois Monument funéraire du chanoine Robert Li Rois Monument funéraire du chanoine Robert Li Rois
Monument funéraire du chanoine Robert Li Rois, 1421, vient de la cathédrale Notre-Dame-en-Cité, musée d'Arras

L'art macabre se développe aux XIVe et XVe siècles. Les historiens l'ont en général interprété comme une manifestation de l'angoisse des populations décimées par les pestes (en particulier celle de 1348) et par la Guerre de Cent ans. On pourrait y voir au contraire un signe d'attachement plus passionné à la vie, que l'on se résout moins volontiers à quitter, la mort apparaissant alors comme le monde de la vermine et de la décomposition. La danse macabre, où la mort sous forme de squelette entraîne sans distinction princes, évêques, abbés, bourgeois et paysans, est l'un des thèmes favoris de cet art macabre (le cimetière des Innocents à Paris en possédait autrefois un célèbre exemple datant de 1425). Les Offices des Morts des livres d'Heures montrent la Mort s'attaquant aux vivants : la Mort y apparaît comme un corps rongé par les vers et rappelle aux vivants la menace de leur désagrégation matérielle. Les Artes moriendi ou Arts de bien mourir, largement diffusés par la xylographie avant la naissance de l'imprimerie, exhortent le chrétien a bien affronter ses derniers instants, où forces du bien et forces du mal se livrent un combat serré pour la possession de son âme. Le thème du transi qui montre le corps en décomposition, est à situer dans ce contexte. Il est moins répandu qu'on ne l'a prétendu ; on le rencontre surtout a l'Est et à partir de la fin du XIVe siècle, comme en témoigne le transi de Guillaume de Harcigny (mort en 1393) médecin de Charles VI, à Laon, ou celui du cardinal Jean de la Grange à Avignon. Le thème culmine au XVIe siècle avec René de Châlons sculpté, vers 1544, par Ligier Richier.
Frangment d'un transi
Frangment d'un transi, 15ème, musée d'Arras


Le gisant de Guillaume Lefrançois (1446) (n°37) médecin, chanoine de Béthune est étendu sur une natte tressée, symbole d'humilité et de repentir. La décomposition du cadavre est en cours, les vers grouillent. Ce réalisme est tempéré par le cri d'espoir du phylactère: " J'ai espéranche de mon salut en la seulle miséricorde de Dieu".
Gisant de Guillaume Lefranchois
Gisant de Guillaume Lefranchois, médecin et chanoine, 1446, vient de l'église Saint-Barthélémy de Béthune, musée d'Arras


Cette horreur devant la mort trouve encore à s'exprimer à la Renaissance. Mais parallèlement, réapparaissent les défunts, reposant cette fois les yeux clos, attendant calmement le Jugement dernier comme on peut le voir avec la dalle de la famille Blocquel (XVIe s.) (n° 80).
Dalle funéraire
Dalle funéraire, musée d'Arras



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