Arras, la Sainte-Chandelle

Nord - Pas-de-Calais Arras, la Sainte-Chandelle et le MAl des Ardents Nord - Pas-de-Calais

La légende

En 1105, règne à Arras une terrible maladie qui décime la population : le "mal des Ardents" brûle de douleurs ceux qui en sont atteints et chacun y voit punition divine ou déchaînement diabolique. Aussi des prières sont faites à la Vierge pour qu'elle vienne sauver les habitants.
Or à la même époque, deux jongleurs, Itier, du Brabant et Norman de Saint-Pol se vouent une haine mortelle, le frère du premier ayant été tué par le second. Une nuit pourtant, ils font tous deux le même rêve : la Vierge leur apparaît. Elle leur enjoint de se rendre à la cathédrale d'Arras et de s'y réconcilier en présence de l'évêque, Lambert de Guînes.
Après une nuit de prières, Marie se montre aux trois hommes et leur confie un cierge allumé, leur demandant de faire couler la cire dans l'eau et de la donner à boire aux malades. Ceux-ci sont alors miraculeuse ment guéris.

Les histoires de la Sainte Chandelle

Plusieurs tableaux racontent cette histoire. Le plus récent est présenté au musée diocésain. On y voit à droite le meurtre, puis la réconciliation des deux trouvères ; au milieu, les malades installés devant le porche latéral nord de Notre-Dame-en-Cité. A gauche, figure le lieu du miracle, embelli par le donateur d'un deuxième tableau, plus ancien, Antoine Richebé.
Ce dernier, chanoine de la cathédrale d'Arras et vicaire général du diocèse d'Arras de 1571 à 1582, date de sa mort, fit en effet dresser en 1576 un superbe autel pour " embellir la maison de Dieu et honorer sa mère " Ce monument s'orne d'une Pietà, des priants du donateur et son frère accompagnés de leurs saints patrons, saint Antoine et saint Jean, et de personnages allégoriques. A gauche de l'autel est installé le tableau présenté dans les salles médiévales du musée, un panneau de bois divisé en quinze compartiments. Il est à double face. L'une relate l'histoire du Saint Cierge et l'on peut reconnaître en bas à droite le portrait agenouillé d'Antoine Richebé. L'autre représente le Christ, les douze Apôtres accompagnés de saint Paul et saint Jean-Baptiste. Des volets, conservés mais en mauvais état, présentent sur une face un texte narratif et au revers l'histoire des nourritures miraculeuses : la Sainte Manne, Elie nourri par un ange et saint Paul ermite nourri par un corbeau.
L'ensemble fut commandé à Michel Varlet, peintre arrageois et achevé en 1581 comme l'indique l'inscription qui court autour du tableau.
Le triptyque conservé au musée diocésain doit être, lui, encore légèrement antérieur. Le panneau central montre le miracle accompli par l'eau mêlée de cire. Dans le ciel, la Vierge en gloire tient le Saint Cierge. Un paysage imaginaire habite l'arrière-plan. Une représentation du buisson ardent s'en détache, image de la virginité de Marie et rappel symbolique de la maladie qui frappe les Arrageois.
Une vue latérale de Notre-Dame-en-Cité nous fournit un témoignage architectural précieux sur cet édifice disparu. Il est cependant trompeur puisque le peintre en a supprimé le transept pour se concentrer sur le portail nord Pour autant que l'on puisse en juger, la flèche de la croisée semble plus petite et paraît antérieure à l'incendie de 1572, de même que le couronnement de la tour Nord.
Ces éléments architecturaux renforcent l'analyse stylistique de l'oeuvre. Les personnages aux musculatures détaillées, aux poses recherchées reflètent, d'une manière provinciale, les recettes des Flamands du milieu du XVIe siècle qui ont fait le voyage d'Italie. Les couleurs vives de certains costumes "à l'antique" (à gauche) renforcent le sentiment d'un tableau appartenant au courant artistique des années 1550 alors que les costumes des personnages défilant dans les derniers compartiments du précédent tableau renvoient aux règnes des derniers Valois Enfin, un quatrième tableau (du XVIeme siècle ?), conservé au musée diocésain montre l'apparition de la Vierge tenant le cierge sacré.

Arras, La Sainte Chandelle, Notre-Dame des Ardents et les menestrels
Arras, La Sainte Chandelle, Notre-Dame des Ardents et les menestrels


La confrérie des Ardents

Après le miracle, naît très vite une confrérie pieuse dont les objectifs sont de rendre un culte régulier à la relique. Les trouvères Itier et Norman en sont, dit-on les premiers mayeurs. La "carité Nostre Dame des Jogleors et borgois" d'Arras eut un rôle essentiel dans la vie culturelle et littéraire du Moyen Age puisque la présence de ménestrels locaux mais aussi "de dehors" en fit un foyer de rencontres annuelles où furent sans doute créées les productions majeures des XIIe et XIIIe siècles (J. Bodel, A. de la Halle...).
En 1215, Marguerite de Flandre fait don à la confrérie d'un reliquaire en argent niellé et filigrané reprenant la forme du Saint Cierge. Des bagues de vermeil entourent à plusieurs niveaux la custode. Très restauré au XIX siècle, le reliquaire est conservé au musée diocésain d'où il ressort annuellement pour la procession des Ardents en mai.
La comtesse décide en outre de faire édifier une chapelle sur la Petite Place qui vient s'adjoindre à un clocher en forme de cierge, élevé peu auparavant par la confrérie, d'une hauteur de près de trente mètres, soit 6 étages surmontés d'une flèche. Au XVIe siècle, on édifie un pavillon au pied de la tour.
La première chapelle, détruite au début du XVème siècle est remplacée par une fondation du mayeur Jean Sacquespée, seigneur de Baudimont. Rasée par une bombe française lors du siège de 1640, elle est à nouveau reconstruite en 1648. C'est ce dernier édifice que l'on peut voir sur le tableau daté de 1664 qui a été légué au musée par Maître Jean Dhôte en 1993.
Au premier plan, la croix, la bannière et six musiciens précèdent le porteur de la relique revêtu d'une dalmatique blanche. Une femme sème une jonchée devant leur passage. Deux personnages se tiennent à gauche.
L'un est identifié par son blason et représente peut-être le mayeur sortant. En 1664, il s'agit de Sébastien de Chelers, seigneur de Loisne.
Aucune explication n'a été retrouvée au fait que dans ce tableau, comme dans celui offert par A. Richebé, les confrères portent tous quelque chose qui ressemble à une plume de paon.
Après avoir fait l'objet d'une interdiction passagère à l'arrivée de l'évêque Mgr de Conzié en 1770, le culte et la procession du Saint Cierge se poursuivent jusqu'à la Révolution. Mais l'édifice est en mauvais état.
En 1791 l'ensemble est abattu. L'événement est relaté par une gravure à l'eau forte de François Verly. L'autel est transféré à l'église Saint Jean-Baptiste. L'essentiel des Qbjets de culte, cachés un moment, est conservé et ressort au XIXème siècle.
En mémoire de cette chapelle de la Petite Place, l'architecte Alexandre Grigny reprend en 1865 le modèle du Saint Cierge pour le clocher de la chapelle des Ursulines d'Arras. Depuis 1876, l'église de Notre- Dame des Ardents abrite la confrérie et ses éléments de culte. Notre Dame du Joyel, ornée d'ex-voto de musiciens, y est toujours exposée.

Arras, Chapelle de la Sainte-Chandelle au XVIIIe, dessin de Posteau
Arras, Chapelle de la Sainte-Chandelle au XVIIIe, dessin de Posteau


Un ex-voto à la Sainte Chandelle

Le petit tableau, acquis en 1998 avec l'aide des Amis du Musée et du FRAM Nord/Pas-de-Calais, reprend de manière très proche l'iconographie du huitième compartiment du tableau offert par Antoine Richebé Il intègre néanmoins deux arrière-plans différents et très intéressants pour Arras : la cathédrale à droite, lieu initial du miracle, et l'abbaye Saint-Vaast seigneur foncier du lieu où est édifié la chapelle, à gauche. En outre, derrière l'évêque Lambert, on voit un quatrième personnage agenouillé, sans doute le commanditaire, identifié par les armes peintes en haut du tableau.
Il s'agit, à gauche, de celles de Jean Lombart, seigneur de Vandelicourt, mort le 30 juin 1662 et à droite de celles de sa femme Marguerite Moullart morte en 1666. Jean Lombart fut mayeur de la confrérie de Notre des Ardents en 1625 ce qui nous permet de dater approximativement notre oeuvre.
La présence de panneaux semblables encore conservés en main privées et les références données par l'Epigraphie d'Arras (t. VII, p. 48) nous permet d'avancer l'hypothèse que ce panneau n'est pas, comme on le supposait jusqu'alors, un ex-voto. Il s'agirait plutôt de l'oeuvre offerte à l'accomplissement de sa charge par le mayeur sortant de la confrérie, en l'occurrence Jean Lombart. Il est probable que l'oeuvre de 1664 évoquée précédemment avait la même fonction.
La tradition qui consiste à offrir un souvenir au sortir de charge n'est pas spécifique à la seule confrérie des Ardents. Au seul musée d'Arras, les portraits de mayeurs de la confrérie de Saint-Jacques et les objets de la confrérie de Saint-Christophe (portefaix) attestent de cette pratique. La confrérie de Saint-Luc d'Arras détient encore aujourd'hui le même type de souvenirs et, plus prestigieux, les Mays de Notre-Dame de Paris dont le musée expose quelques éléments en sont un autre témoignage pour les orfèvres parisiens.
C'est donc un exemple de la vitalité de la puissante confrérie des Ardents qu'a acquis là le musée d'Arras, jalon supplémentaire dans la constitution d'un noyau patrimonial autour de ce culte local toujours vivace.

Le Mal des Ardents

Le Mal des Ardents provoque de terribles douleurs et des sensations de brûlures très fortes, accompagnées de convulsions, voire parfois de crises de folie hystérique. Certains malades voient leurs membres se gangrener, devenir noirs et secs. Mains et pieds finissent alors par se détacher des articulations. Au Moyen Age, on est persuadé avoir à faire à une épidémie et on reste très démuni.
Ce n'est qu'au XVIIe siècle qu'on élucide le mal et ce n'est qu'au XIXe siècle qu'on identifie définitivement le responsable : un petit champignon parasite du seigle (dit ergot de seigle) aux effets toxiques qui prolifère particulièrement par temps humide. Moulu, avec le reste des grains, il provoque ce " mal des Ardents " surtout chez les petites gens, premiers consommateurs de pain noir.


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