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Saint Victor de Marseille

ABBAYE DE SAINT-VICTOR-DE-MARSEILLE
(Marseille, Bouches-du-Rhône)


Ce monastère était situé hors de l'enceinte de Marseille, sur les rochers dominants la rive méridionale du Vieux-Port.

Il fut assimilé par tradition à l'abbaye qui avait été fondé par Jean Cassien (mort vers 435), d'origine roumaine, au début du Ve siècle.

Selon cette même tradition, il aurait demandé à l'évêque de Marseille; Proculus, l'autorisation de fonder un monastère près de la grotte où reposaient les reliques de saint Lazare et de saint Victor.

Cassien aurait même fait construire près de cette grotte, deux églises, l'une dédiée à saint Pierre et saint Paul, l'autre à saint Jean-Baptiste.

Ce fameux personnage est reconnu pour avoir été un pieux ascète et un grand théoricien de la vie monastique dans le sud de la Gaule. Ses deux ouvrages (« De institutis coenobiorum et de octo principalium vitiorum remediis » et les « Collationes »), en retraçant tour à tour « les règles de la vie extérieure du moine et celles de sa vie intérieure forment un véritable code du monachisme primitif ». Son oeuvre connaîtra un grand succès et sera utilisée par saint Benoît et de nombreux moines irlandais. Mais Cassien est aussi connu pour s'être opposé à saint-Augustin (mort en 430), sur le chapitre de la grâce et du libre arbitre, en 428 (époque où fleurit le "pélagianisme").

A l'époque carolingienne, les administrateurs du monastère ne seraient autres que les évêques de Marseille. Théodebert, évêque de 822 à 841, obtint pour Saint-Victor trois diplômes impériaux qu'il aurait sollicité en personne auprès de Louis le Pieux (empereur d'Occident et roi des Francs de 778 à 840) et, plus tard, de son fils Lothaire (empereur de 840 à 855).

Ces deux monarques lui confirmèrent la donation que Charlemagne avait fait en faveur de l'abbaye, et qui concernait « le droit sur le sel et autres marchandises, ainsi que des droits de douanes et d'ancrage sur les bâtiments venant au port de la ville de Marseille ». Lothaire fut d'ailleurs plus généreux que son père, puisqu'il « prit le monastère sous sa protection et lui accorda les immunités les plus étendues, défendant à ses officiers de lui imposer aucune charge ni aucune contribution ».

De telles faveurs, accordées à une abbaye de la part du pouvoir royal, n'étaient pas innocentes. En fait, c'est par ce moyen que « le monachisme entre alors dans les vues gouvernementales en tant qu'auxiliaire zélé du pouvoir ». Par exemple, Louis le Pieux développa en la matière toute une stratégie : voyant que le contrôle de l'autorité impériale était inefficace dans les régions du Sud de la France, ce fut pour lui « une bonne mesure politique que de constituer, par le biais des monastères, des équipes dévoués d'administrateurs ecclésiastiques ». Ainsi, l'empereur gagnait l'appui de l'aristocratie locale qui fournissait le personnel monastique.

L'abbaye bénédictine de Saint-Victor de Marseille aurait pu dès lors jouer un rôle important, si, dans cette région de Provence, les nombreux raids de barbares (que les documents de l'époque nomment gens pagana et barbarica ) n'avaient mis un terme à son existence : le monastère aurait été entièrement ruiné vers la fin du IXe ou au début du Xe siècle.

(Ci-contre, le confessionnal de saint Lazare, archevêque d'Aix au début du Ve siècle, dans la crypte de Saint-Victor de Marseille)

Il ne fut reconstruit que plus tard, par les soins de Honorat II. Ce dernier, parent du premier Vicomte de Marseille et chargé de l'épiscopat de cette ville en 948, « restaura l'illustre abbaye, y rétablit le vie monastique et donna des abbés aux religieux qu'il y avait introduit ». Il lui restitua « de nombreux domaines qui avaient jadis appartenu à ce monastère, et qui étaient alors uni à son évêché ». Chose plus remarquable encore, « il réclama avec zèle la restitution de ceux de leurs biens que des particuliers et le Comte de Provence lui-même détenaient injustement ». D'autre part, « il autorisa le monastère à rechercher leurs anciennes propriétés et à en poursuivre le recouvrement ».

Ce lien d'un évêque avec une puissante famille aristocratique semble être un trait caractéristique du Xe siècle. Lorsqu'on étudie les généalogies des membres du haut clergé qui occupèrent les divers sièges épiscopaux de la région méditerranéenne, on constate, comme pour celui de Marseille, que ce sont surtout avec les familles Vicomtales qu'ils sont apparentés. Mais, malgré ce lien de dépendance, les évêques n'ont pas tenté, en règle générale, de devenir des princes temporels « puisque les domaines et fonctions de chacun étaient clairement perçus »...

En 977, le nouvel évêque de la ville, Pons Ier, parent de Honorat II, continua l'oeuvre de ce dernier. Et en 1005, le moine Guifred (Wifredus), originaire de l'abbaye de Psalmody (Gard), devint le premier abbé de Saint Victor. Celui-ci « mit le monastère dans un merveilleux état de prospérité et en assura l'avenir ». Ayant obtenu le consentement du Pape et du Roi, Pons Ier « émancipa l'abbaye de toute autorité étrangère, voulant qu'il vécut de sa vie propre et indépendante, sous la règle de Saint Benoît et à la direction de ses abbés, comme les autres monastères réguliers, sans être assujetti à quelque personne que ce pût être, si ce n'est à titre de défenseur ».

C'est vers 1020 que saint Isarn fut nommé abbé de Saint-Victor, charge qu'il devait exercer jusqu'au 24 septembre 1047. Comme le souligne Paul Amargier, « ce dernier doit être regardé comme le véritable fondateur de la puissance victorine, cet empire monastique dont il sut jeter les bases, grâce à une action si spectaculaire qu'elle lui valut d'être proclamé "saint" et de jouir ainsi du privilège d'une "vita" ».

Il nous faut souligner aussi les importantes concessions que l'abbaye obtint de la part de Rome. En effet, en 1009, le pape Jean XVIII (1003-1009) « exempta le monastère de toute juridiction, soit des évêques de Marseille, des Vicomtes de cette ville, ou même des Comtes de Provence ». Saint Léon IX (1048 à 1054) confirma ces privilèges en 1050 et la soumit immédiatement à l'église romaine. Enfin en 1079, Grégoire VII (1073-1085), connu pour sa réforme de l'église, ajouta à ses privilèges « qu'aucun empereur, roi, duc, marquis, archevêque ou évêque, ni aucune puissance humaine ne présume d'y exercer aucune violence, ni aucune juridiction ».

Cette indépendance d'une abbaye à l'égard des autorités épiscopales et laïques, accordée pour Saint Victor au début de l'an Mil, était un fait annonciateur de profonds bouleversements dans l'histoire de l'Eglise française, lourds de conséquences pour l'avenir. Avant le Xe siècle, les monastères avaient été plus ou moins indépendants les uns des autres et, les uns les autres, dépendant de l'évêque diocésain. Mais à cet état de choses « tendait à s'en substituer un autre qui devait conduire à la notion d'ordre monastique, où les monastères seraient affiliés les uns aux autres et les uns et les autres soumit à un chef d'ordre qui, lui-même, dépendrait du pape ». Cette hiérarchie préfigure en fait celle qu'imposera la réforme grégorienne à partir des années 1060 - 1080, et principalement sous l'instigation du pape Grégoire VII.

Originaire de la Toscane, en Italie, Hildebrand (qui devait devenir le futur pape Grégoire VII) fit ses études en France et entra dans l'ordre de Cluny. Emmené par le pape Léon IX en Italie, nommé cardinal, il exerça depuis cette époque une grande influence sur le Saint-Siège. Il fut élevé au pontificat en 1073. Il attaqua alors avec énergie des vices qui dégradaient l'Eglise : la simonie et le mariage des prêtres (plus exactement l'entrée dans les ordres de fidèles « en état de mariage »). Il imposa au clergé un célibat rigoureux, et, pour opérer cette réforme recourut aux prédications des moines qui soulevèrent le peuple contre les prêtres mariés, et déclarèrent frappés de nullité les actes de religion accomplis par leur mains. Il excommunia les simoniaques et interdit aux clercs de recevoir d'un laïque l'investiture d'un bénéfice ecclésiastique... Notons pour finir que le monastère Saint-Victor de Marseille fut « le point d'appui de la politique grégorienne en Méditerranée Occidentale ».





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