La cusine médiévale

La cuisine médiévale


Cet article est une copie de l'article original paru sur Citadelle.org - Un autre regard sur le Moyen Age


Festin dans la Grand Salle

Qui n'a pas, alors qu'il était enfant, entendu ou lu un conte médiéval ?

«Il était une fois, un roi et une reine qui, dans leur beau château, toute la noblesse alentour, pour le mariage de leur fils avaient invité.

Sur les grandes tables en bois massif en «U» installée, de grands plats d'or et d'argent dans lesquels fumaient des viandes rôties on avait posé.

Dans un coin de la pièce, dans une gigantesque cheminée un grand feu brûlait, et deux serviteurs un sanglier faisaient tourner.

Les invités, dans des hanaps ou de grands fûts, moults verres de vins et de cervoises buvaient, et à pleines dents, des cuissots de sangliers bien gras, des paons bien épicés, et des cygnes bien poivrés déchiraient.

Toujours plus de sangliers et de cervoise on apportait et jamais de légumes on ne mangeait. Fort haut on parlait et riait, mais fort bien la musique jouée par des troubadours on entendait. Tout au long du repas des jongleurs et des cracheurs de feu divertissaient la belle assemblée, pendant qu'un nain, déguisé en bouffon passait sous les tables ou sautaient sur les genoux des belles dames...».

De l'épopée du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde à Thierry la fronde, en passant par Merlin, de nombreux auteurs ont réinventé le moyen âge.

Bien sur, la cuisine médiévale n'échappe pas à cette règle. Les erreurs d'interprétations ont pour origine le milieu du XVIIIème, période où l'on commence à s'intéresser aux cuisines des siècles précédents.
Tout comme l'historien va dénigrer cette période de dix siècles en la réduisant en deux mots, le «Moyen Age», les premiers antiquaires culinaires vont faire de même.

Cette mentalité n'a que peu évoluée. L'étude de la cuisine ancienne dans les écoles de cuisine ne fait que survoler les cuisines romaines, médiévales et renaissance pour commencer au XVIIIème siècle. Plus marquant encore, nos critiques gastronomiques ont une méconnaissance flagrante de l'étendue des cuisines anciennes, alors que la plupart des grands chefs admettent quelle est la source de notre cuisine traditionnelle et gastronomique.


A la table des seigneurs

Mais il est vrai que de nos jours, la facilité et les faux-semblants prennent aisément le pas sur l'originalité et «l'authenticité» (mot d'ailleurs allègrement galvaudé dans la restauration). Ainsi, depuis quelques années, on sert des «repas médiévaux», des «banquets moyenâgeux» et autres «festins de Taillevent», où les aberrations côtoient les anachronismes, où l'ajout de gingembre et de poivre font d'un poulet rôti un met du médiéval et où l'Ypocras n'est qu'un vulgaire vin à la cannelle.

Ces méconnaissances, pour ne pas dire tromperies sont amplifiées par quelques écrits qui, «pour simplifier», font d'un bourbelier un vulgaire civet ou remplacent le précieux verjus par un commun vinaigre (1).

Fabrication du verjus sous la treille,
extrait du Taccuinum sanitatis,
fin du XIVè siècle.

La cuisine médiévale est une cuisine de goût, de saveurs et de couleurs.

S'il existe une différence fondamentale dans l'alimentation des nobles et des paysans, des laïques et des religieux, des ruraux et des urbains, on constate que certains points communs résident dans les goûts de tous.

Tout d'abord l'attrait des épices. A cette époque, on nomme épice tout ingrédient qui modifie ou améliore un plat; le poivre, le safran, le clou de girofle, mais aussi les amandes, l'oignon ou le sucre. Mais, fondamentalement, se sont le gingembre, le safran, les cannelles (cannelle ou synamone) et le clou de girofle qui restent les épices les plus utilisés.

Marchand de cannelle,
Tracatabus de Herbis, XVè siècle.

Ces épices, que l'on utilise déjà à l'époque romaine vont à la fois servir à agrémenter un plat, mais aussi à marquer un statut social.
Par exemple, le poivre, épice chère mais courante, va disparaître des ingrédients destinés aux tables royales, au profit du poivre long et de la graine de paradis, plus lointaines et plus onéreuse.

Les épices entrent dans la composition de tous les plats, y compris certains «desserts», tarte aux pommes du Viandier de Taillevent ou fraisée, gâteau aux fraises et au safran, tiré d'un manuscrit anglo-normand.
On agrémente aussi certains vins d'épices; le fameux Ypocras utilise selon le Ménagier de Paris ou le Viandier de cinq à sept épices différentes.

Mais l'utilisation des épices se fait de manière très étudiée; Non pas comme on pourrait le croire, pour «masquer le début de putréfaction des mets», mais réellement par goût; pour preuve, la précision avec laquelle les rédacteurs des ouvrages que nous connaissons à ce jour décrivent les épices utilisées, voire les quantités.

Toutes ces épices vont, harmonieusement mélangées, donner une saveur précise à chaque plat.

Marchand de noix de muscade,
Tracatabus de Herbis, XVè siècle.

La cuisine médiévale offre les mélanges de saveurs les plus élaborés. Si aujourd'hui, la cuisine «toute prête» ne nous donne le choix que dans deux saveurs, le salé ou le sucré (l'amertume et l'acidité ne pouvant convenir à un panel suffisant d'individus), ou pire la mono-saveur de la restauration rapide (viande salée mélangée à du ketchup légèrement sucrée), notre palais et notre langue savent reconnaître aisément les quatre saveurs. Quant à la gastronomie médiévale, elle nous donne le choix entre huit, voire neuf saveurs, chacune d'elle étant dédoublée. Par exemple, lorsque l'on incorpore à un plat du sucre, on obtient une saveur sucrée, alors que lorsqu'on ajoute du miel on obtient une saveur suave. On a donc deux fois quatre égale huit saveurs, la neuvième étant l'âcre ou saveur poivrée.
Enfin, le cuisine médiévale est une cuisine de couleurs. Chaque sauce, chaque met doit avoir une couleur qui permet son identification.
Le blanc s'obtient avec les aulx (pluriel du mot ail, NDLR) ou le gingembre,

cueillette de l'ail,
détail extrait du Taccuinum sanitatis,
fin du XIVè siècle.

le jaune grâce aux œufs ou au safran, le vert par l'adjonction d'herbes, le tournesol donne le rouge, car comme tout bon cuisinier, les queux de bouche de l'époque cherchent aussi le plaisir des yeux.
La cuisine médiévale n'est pas comme le pensait Le Grand d'Aussy, une «...multiplicité rebutante de ragoûts, qui n'étaient différenciés que par les noms bizarres qui leur étaient assignés...» (2), mais véritablement une gastronomie élaborée car, que l'on soit rustres ou grand seigneur, clerc ou bourgeois, le bien-manger fait partie intégrante de la vie, de la fête et du plaisir de vivre.

Olivier Smadja

(1) A l'exception de l'excellent ouvrage de Odile Redon, Françoise Sebban et Silvano Serventi La gastronomie au Moyen Age - 150 recettes de France et d'Italie, Stock , 1995.
(2) Le Grand d'Aussy, Histoire de la vie privée des Français, 3 volumes, Paris, 1782

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